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QUESTION D'ACTU

Le crâne : modelé pour la grosse tête

Entre un australopithèque et nous, le volume du cerveau a triplé. Et donc celui du crâne aussi. Tête à tête avec Alain Froment, médecin et anthropologue, qui a étudié notre boîte cranienne.

Le crâne : modelé pour la grosse tête London News Pictures / /REX/SIPA




Il abrite l’un des organes les plus nobles : le cerveau. Le crâne a donc une mission de la plus haute importance. Au fil des millénaires, le crâne a évolué pour être en phase avec le cerveau mais cette « boîte » composé de 8 os bouge aussi au cours d’une vie. Et pour cause, à la naissance notre cerveau ne représente que 23% de sa taille adulte contre 65% chez le macaque et les femmes ne peuvent pas accoucher d’une tête trop grosse. Contrairement à certaines idées reçues, le crâne est très solide ce qui ne l’empêche pas d’être mis à rude épreuve. Chaque année, en France, on dénombre 180 000 traumatismes crâniens, dont heureusement 4000 « seulement » sont graves.


Entretien avec le Dr avec Alain Froment,
médecin, anthropologue et directeur de collections d’anthropologie au musée de l’Homme. Il vient de publier aux éditions Odile Jacob « Anatomie impertinente – le corps humain et l’évolution » (1)


Pourquoi Docteur : Le crâne, c’est manifestement la partie du corps la mieux préservée, puisque parmi les fossiles de nos ancêtres, c’est ce qu’on retrouve finalement le plus souvent. Pourquoi est-ce la mieux conservée ?

Dr Alain Froment : Oui, cela peut paraître un peu étrange, parce que c’est quand même une voûte qui est fragile, mais cela a la forme d’un œuf. Et l’œuf dans l’évolution, c’est une espèce de calcul optimal pour mieux résister aux chocs. Et c’est ce qui se passe un petit peu également pour notre calotte crânienne, c’est qu’elle résiste assez bien aux chocs.


On sait bien que la forme du crâne, a beaucoup évolué au fil des siècles. Qu’est-ce qui explique cette évolution, entre les australopithèques et nous ?

Dr Alain Froment : C’est un changement énorme, et assez rapide. Les australopithèques, qui vivaient en Afrique il y a à peu près 3 millions d’années, ont la même capacité crânienne qu’un chimpanzé, c’est-à-dire 400, 450, 500 cm3, au mieux. Et nous, nous sommes à 1500, voire 2000. Cela veut dire qu’en 3 millions d’années, le volume du cerveau a triplé. C’est énorme, cela veut dire que ce qui a fait l’hominisation, c’est le cerveau, c’est la capacité en fait à inventer des choses. Il y a eu donc un dialogue entre la main et le cerveau pour favoriser à chaque fois, un petit peu plus d’intelligence, donc un petit peu plus de volume cérébral.

 

« Tenir tête »

Quelqu’un qui tient tête, c’est quelqu’un qui s’oppose, qui refuse de se laisser mener par le bout du nez… Cette expression remonte au milieu du 16ème siècle. A l’époque, on disait « faire tête ». Cette formulation faisait référence au monde de la chasse : lorsqu’un animal était encerclé par les chiens, il se présentait toujours de face. On disait alors qu’il faisait tête. Même si sa dernière heure était arrivée, il faisait bonne figure. Quant à l’expression « avoir la grosse tête », elle viendrait de la tradition des carnavals où en tête de cortège, se trouvait un homme, la vedette du festival, avec une énorme tête.


Est-ce que cela veut dire que la forme de notre crâne dit des choses sur notre intelligence ?

Dr Alain Froment : Le volume du crâne n’est pas directement lié à l’intelligence, parce que dans le crâne, il y a beaucoup de choses. L’intelligence elle-même sera plutôt liée à la finesse des connections. Vous pouvez avoir un cerveau de 1000 cm3, ou de 2000 cm3 – Anatole France, c’était 1000, et Lord Byron, c’était 2000 – mais ce sont des gens qui ont la même intelligence. Alors il y a eu une théorie, au début du 19e siècle, sur les bosses du crâne. C’est de là que vient ce mythe de la bosse des maths. L’idée était que si un vice, ou une vertu ou une qualité, était exacerbé, la zone du cerveau qui commandait à cette qualité serait un petit peu plus développée. Et donc, le crâne, qui moule le cerveau, aurait une bosse.


Cette théorie, la phrénologie, c’est dangereux ?

Dr Alain Froment : Bien sûr. Et le médecin qui avait inventé cette théorie, qui s’appelait Gall, avait constitué 3 sortes de collections de crânes, de bustes, de moulages sur le vivant : des gens de talent, des criminels, et des aliénés. Et il pouvait comparer. La phrénologie a été tellement à la mode qu’à un moment, c’était même une façon de conseiller l’orientation des enfants. Et puis vers 1830-1840, les anthropologues ont dit : « Non, cela ne marche pas, c’est du charlatanisme ».


Les conditions de vie dans lesquelles ont vécu nos ancêtres et dans lesquelles nous vivons aujourd’hui, est-ce que cela a eu un impact sur le crâne, et peut-être sur les cheveux ?

Dr Alain Froment : Oui, déjà, on constate que quand on va des pays chauds vers les pays froids, que la capacité crânienne et la capacité orbitaire augmentent. Cela, c’est probablement lié à des questions de thermorégulation, parce que ce qui est très fragile dans notre physiologie, c’est le cerveau. Il ne faut pas qu’il s’échauffe, et donc, il est protégé. Et les cheveux, c’est certainement aussi une façon de le protéger. En Afrique, les cheveux crépus maintiennent une certaine circulation d’air, et donc une réfrigération qui permet de maintenir le cerveau à 37°, et pas plus.


Ce crâne, nous le protégeons, et à la fois, on lui fait du mal. On fait des trous dans le crâne, c’est ce qu’on appelle des trépanations. Cela remonte à il y a très longtemps ?

Dr Alain Froment : Oui, les 1ères trépanations ont à peu près 8000 ans. Mais c’était très à la mode il y a 5 à 6000 ans. Dans les collections du musée de l’homme, on a des crânes qui datent 4 à 5000 ans. On trouve jusqu’à 20 % de gens qui ont une rondelle du crâne qui a été découpée du vivant de l’individu, et qui a cicatrisé. On voit, en regardant les rebords de l’incision, que le sujet a survécu. De nos jours, on continue à pratiquer des trépanations pour les traumatismes. Par exemple, si vous avez un enfoncement, on va découper le crâne pour « lever une embarrure », c’est-à-dire lever une compression sur le cerveau. Mais dans les sociétés traditionnelles, c’est souvent lié à des pratiques de sorcellerie ou de psychiatrie. Imaginez que quelqu’un soit possédé par un démon, le fait d’ouvrir le crâne permet au démon de s’échapper.



(1) « Anatomie impertinente – le corps humain et l’évolution » Ed. Odile Jacob, 281 p. 25,90 €



Demain : « La main, de la marche à la chasse », avec le Dr Alain Froment.


 

 

 

 

 

 

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