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Sexualité des adolescents : « On ne doit pas dissocier consentement et désir »

Devenue centrale depuis quelques années, comment la notion de consentement est-elle perçue par les adolescents ? A-t-elle changé leur rapport à la sexualité et aux autres ? Quel est le rôle des éducateurs ? Eclairages avec les sexologues Véronique Baranska et Aurore Malet-Karas.

Sexualité des adolescents : « On ne doit pas dissocier consentement et désir » jacoblund / iStock

  • Publié le 29.12.2021 à 10h50
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La nécessité du "consentement" n’aurait jamais été aussi consentie qu’aujourd’hui : 90 % des jeunes de 18-30 ans ont conscience de son importance, un record par rapport aux années précédentes, selon un sondage OpinionWay publié en septembre. Et les adolescents ne sont pas en reste vis-à-vis de leurs aînés, si l’on en croit le documentaire « Option éducation sexuelle » de Carine Lefebvre-Quennell et Marie-Pierre Jaury, diffusé mi-décembre sur France 5. Non seulement ils connaissent tous le terme, mais aucun des treize élèves de seconde sollicités dans le film ne remet en cause l’intérêt du « consentement » – c’est même le premier mot qui ressort lorsqu’on leur demande ce que la « sexualité » leur évoque. 

Reste que la notion n’est pas si claire aux yeux des jeunes générations, comme nous l'apprend le documentaire (et cette enquête privée de 2019). Si le vieux proverbe « Qui ne dit mot consent » a bel et bien été balayé par le mouvement MeToo de 2017, le consentement sexuel – à savoir l’accord que des personnes se donnent mutuellement pour avoir une relation charnelle – pose plus que jamais question. Que veut dire « consentir » ? A quoi consent-on ? Comment en parler ? Que peuvent l’école et des parents ?

Voici quelques éléments de réponse avec Aurore Malet-Karas, sexologue, docteure en neurosciences et intervenante en milieu scolaire, et Véronique Baranska, sexologue clinicienne, infirmière et co-auteure de L’éducation à la sexualité – Respect, égalité, altérité (éd. In Press, 2020).

Les adolescents en savent-ils davantage sur la sexualité que la précédente génération ?

Véronique Baranska : Ils en savent plus parce qu’il y a Internet et les réseaux sociaux. Mais c’est un tel flot d’informations qu’il n’y a pas de dissociation entre ce qui scientifiquement prouvé et ce qui ne l’est pas, entre les sources fiables et les autres. Beaucoup ne se renseignent qu’en suivant des influenceurs et en regardant des vidéos TikTok, sans jamais aller sur des sites comme par exemple Fil Santé Jeunes ou Onsexprime [plateformes qui délivrent des informations vérifiées sur la sexualité, en particulier pour les jeunes, ndlr]. Pour tous les ados qui vont sur Internet, la question est : comment filtrent-ils les informations ? C’est comme avec le porno : est-ce qu’ils ont conscience que ce qu’ils regardent est un film avec un scénario dont certaines scènes sont impossibles dans la vraie vie ? Certains sont étonnés lors d'échanges : « Ah, c’est donc normal de ne pas pouvoir tenir une érection si longtemps ? »

Aurore Malet-Karas : On peut surtout dire que la parole semble plus libre. Mais si on parle de connaissance pure, il existe une grande hétérogénéité chez les adolescents en fonction des milieux sociaux, des cultures… On ne va pas penser la sexualité de la même manière selon qu’on habite en ville ou en zone rurale, qu’on vive dans le 5e arrondissement de Paris ou dans une banlieue difficile, qu’on vienne d’un milieu très religieux ou très ouvert sur les questions d’identité.

Quelle importance accordent-ils au consentement ?

AMK : Ils y accordent une importance sans le comprendre. Le consentement est une base pour parler de sexualité dans l’espace public, dans un cadre politiquement correct et consensuel, certes, mais il est en réalité urgent de dépasser cette notion, qui est un fourre-tout de mots compliqués, de notions floues. Mal employé par les adultes, comment voulez-vous qu’un enfant de 9 ans le comprenne bien ?

VB : Ils s’interrogent, c’est un bon début. Le consentement n’est devenu un sujet que très récemment, et tous les ados n’ont pas le même niveau de maturité ni de connaissances. Certains vont être plus sensibilisés que d’autres grâce à l’éducation reçue de leurs parents qui, sans forcément nommer le mot, ont abordé le sujet avec des conseils comme « tu ne dois pas suivre un inconnu », « ne fais pas quelque chose qui ne te plaît pas », etc. Ceux-là auront déjà acquis certaines valeurs et compétences, un regard critique, une confiance en eux… Choses essentielles pour comprendre la notion de consentement. Quelles sont les compétences dont dispose l’ado pour faire des choix éclairés en matière de sexualité ? C’est ça, la question.

D’après votre expérience de sexologue, la notion de consentement a-t-elle changé leur perception de la sexualité ?

VB : Ce qui interroge, voire inquiète les adolescents, ce n’est pas tant le consentement, mais plutôt leur première fois : « est ce que ça va marcher ? » du côté des garçons, ou « est-ce que je vais avoir mal ? » du côté des filles. Mais la question du consentement n’est jamais loin. A l’origine de la plupart des troubles sexuels dont souffrent les jeunes femmes qui me consultent, on découvre des violences sexuelles et des rapports non consentis dès l’adolescence. Elles prennent conscience aujourd’hui qu’elles n’étaient pas prêtes pour leur premier rapport. Qu’elles l’ont fait pour faire plaisir à leur partenaire, ou de peur qu’il ne les quitte, ou parce que « c’était comme ça ». Elles disent maintenant, avec plus de connaissances et de discernement, qu’elles auraient agi différemment si elles avaient eu, à l'époque, des notions en lien avec le consentement.

Parler de « consentement » est-il pertinent pour parler de sexe aux ados ?

AMK : La notion de consentement seule est insuffisante, voire dangereuse, car elle ne permet pas de protéger les victimes. Quand on parle de consentement, on parle en fait du non-respect du non-consentement : un des partenaires ne respecte pas le non de l’autre. Or la difficulté, dans une enquête, c’est d’avoir les preuves de ce non-consentement, sachant que le litige se passe souvent à huit-clos. Par exemple, l’agresseur peut avoir une telle emprise sur sa victime qu’il va la mettre dans un état de sidération qui peut passer pour une absence de non-consentement. La réalité du terrain, c’est que des personnes vont consentir pour ne pas se faire frapper, consentir à une pratique pour en éviter une autre, consentir pour ne pas que le mari réveille les enfants... Le consentement n’est pas un marqueur d’accord suffisamment fort. Un rapport sexuel ne se consent pas. Il faut parler de désir : en a-t-on envie ou pas ?

VB : La notion a sa place, mais parmi d’autres. Le mot martelé à tout bout de champ ne veut rien dire. N’oublions pas que ce terme de consentement n’est pas uniquement applicable pour la sphère de la sexualité, loin de là : quand on signe un contrat, par exemple, on consent aux termes de ce dernier ! Avant de parler de consentement tel quel, mieux vaut utiliser des mots que les enfants comprennent et commencer avant l'entrée dans l'adolescence. Leur inculquer le respect d’autrui, le respect du non, l’intimité, « qu’est-ce qu’être à deux ? ». Leur apprendre aussi que la communication, ce peut être des paroles, un silence, un geste, un regard, une gêne, etc ! Leur apprendre à connaître leurs limites, leurs émotions, leurs désirs, leurs droits, les lois. La plupart ne savent pas tout ça.

Comment alors mieux aborder l’éducation sexuelle à l’école ?

AMK : Il faudrait déjà l’aborder ! L’éducation sexuelle est une éducation à la réalité du monde. C’est-à-dire au bien vivre ensemble, au respect de soi et au respect de l’autre, avec pour objectif d’enrayer le cycle des violences. Alors que la moitié des violences sur mineur ont lieu avant l’âge de 11 ans, l’éducation sexuelle doit se faire beaucoup plus tôt, d’autant que l’accès au porno se fait de plus en plus jeune. Problème, et je pèse mes mots : la loi du 4 juillet 2001, qui prévoit trois séances d’éducation à la sexualité par an à partir du CP, n’est absolument pas respectée, car c’est laissé au bon vouloir des directeurs et professeurs des écoles.

VB : Quand un enfant arrive au collège, il devrait avoir bénéficié d'un minimum de 15 séances d’éducation à la sexualité. On est loin du compte, comme l’indique le rapport du Haut conseil à l’égalité en 2016 sur l'éducation à la sexualité. Et quand c’est appliqué, c'est souvent à partir de la quatrième avec les cours de SVT, renvoyant à une vision très réductrice de cette éducation et souvent trop focalisée sur la contraception et les IST. Cette éducation doit être menée par des intervenants professionnels formés. Certains peuvent être issus d’associations agréées, qui savent en parler et qui le font souvent par vocation, avec une palette d’outils adaptés : travailler en petits groupes, animer des débats, faire des jeux de rôles…

Quelle est la position des parents sur cette éducation sexuelle à l’école ?

VB : Les parents ne sont absolument pas contre, certains se demandent même pourquoi toutes ces séances n’ont pas lieu. Mais il peut y avoir certaines pressions, comme cela a été le cas lors de la Manif pour tous et lors de la sortie des ABCD de l'égalité par exemple. Certains parents, selon la culture et/ou la religion (musulmane, catholique...) ne parlent tout simplement jamais de sexualité, et ne veulent même pas que leurs enfants assistent aux séances d'éducation à la sexualité. Alors que, faut-il le rappeler, l’école est laïque… Mais il ne faut pas pour autant les exclure, il faut travailler avec eux ! Ils ont peur de quelque chose qu’ils pensent ne pas maîtriser. Il faut bien comprendre que, dans ces séances, on parle à partir de représentations et pas de sa vie privée ni d'intimité. L’intérêt reste que chacun puisse s'exprimer s'il le désire et que les élèves échangent entre eux.

De nouveaux tabous sont-ils nés avec l’irruption du consentement dans la sphère publique ?

AMK : Le tabou d’aujourd’hui, c’est le désir. Parler du consentement, c’est le retour d’une vague puritaine, où on n’a plus le droit de désirer, où le désir de sexualité redevient quelque chose de suspicieux. C’est le retour de « L’homme propose, la femme dispose ». La sexualité n’a jamais été un tabou, elle fait partie de la reproduction, comme pour les animaux. Ce qui est tabou, en revanche, c’est d'en jouir, de désirer avoir du plaisir dans sa sexualité. Or, parler du consentement, c’est masquer le désir. C’est nier que le désir, et donc le non-désir, est possible. On parle de consentement car c’est plus facile : réhabiliter le désir obligerait à inverser tout le paradigme.

VB : On ne peut pas, on ne doit pas dissocier consentement et désir. Ce qu’il faut apprendre aux ados, si possible dès la petite enfance, c’est d’abord apprendre à connaître et à respecter son corps, puis, selon le stade du développement psychosexuel, la connaissance de la « réponse sexuelle » sera un plus. Ses différentes phases sont le désir, l’excitation, la phase de plateau, l’orgasme puis la phase de résolution. Par exemple et en termes plus familiers pour les ados, le garçon va avoir une érection, la jeune fille va mouiller, etc. En connaissant leur propre fonctionnement, avant même que la question du désir ne les effleure, les ados feront un lien implicite avec ce qui entoure la notion du consentement. Des séries de qualité, comme Sex Education, sont très populaires. De nombreux collégiens et lycéens l'ont visionné et cela peut les aider à aborder pas mal de thèmes. Il y a même un manuel tiré de la série en libre accès.
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