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QUESTION D'ACTU

La psychiatrie en horreur

Schizophrénie : le rôle clé du cinéma dans la stigmatisation de la maladie

Depuis des décennies, le cinéma contribue à véhiculer les pires clichés qui soient sur la schizophrénie, notamment grâce aux films d'horreur, poussant de nombreux malades à refuser leur diagnostic. Mais s'il était au contraire utilisé pour réhabiliter la maladie? 

Schizophrénie : le rôle clé du cinéma dans la stigmatisation de la maladie luvemakphoto/iStock




L'ESSENTIEL
  • Le cinéma a véhiculé beaucoup de clichés négatifs sur la schizophrénie
  • Une association vient de réaliser une websérie sur la maladie

Psychose, Black Swan, Shutter Island… tous ces films traitent de la maladie mentale. Et aussi bons et divertissants soient-ils, ils donnent une image erronée de la schizophrénie, dont les personnages principaux sont censés souffrir. Ainsi, depuis des décennies, le cinéma contribue à véhiculer les pires clichés qui soient sur cette affliction, poussant de nombreux malades à refuser leur diagnostic. Un déni qui a bien souvent pour effet un retard de prise en charge, et par conséquent, un moins bon pronostic de rétablissement. 

“Depuis toujours, la schizophrénie fascine. Ce n’est pas comme avoir le diabète ou l’appendicite, c’est quelque chose qu’on n'arrive pas à palper”, analyse la docteure Marine Raimbaud, psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne, experte des représentations de la schizophrénie au cinéma, interrogée par Pourquoi docteur. Bien souvent, les représentations sont mauvaises : “Dans Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman), Jack Nicholson n’est absolument pas schizophrène : c’est un gentil petit psychopathe. Dans Psychose (Alfred Hitchcock), le diagnostic du psychiatre à la fin est complètement bidon, Norman Bates n’est absolument pas schizophrène, s’amuse la spécialiste. Les films véhiculent souvent l’image d’un malade dangereux, imprévisible… alors que les patients ne sont pas comme ça”.

Souvent, à cause du cinéma, les gens ont également tendance à confondre schizophrénie et troubles bipolaires. “Les bipolaires ont des phases maniaques où ils ne dorment plus et font plein de choses. Leur cerveau va très vite, ils ont une allocution extrêmement rapide et pensent que tous les autres sont lents. Ils ont également des phases aiguës de dépression, mais entre les épisodes il n’y aura pas de symptômes résiduels, contrairement à la schizophrénie, explique Marine Raimbaud. Les schizophrènes peuvent souffrir d’épisodes aigus très délirants. Ce sont les symptômes les plus bruyants et les plus impressionnants mais entre ces crises, des syndromes très pénibles persisteront”. Parmi ces derniers, des troubles cognitifs ou encore une désorganisation du comportement avec des présentations un peu atypiques. “C’est vrai qu’au niveau du descriptif des phases de crises, les deux maladies peuvent sembler similaires. Ce que j’aime dans la psychiatrie, c'est que l’on est comme un détective, on doit chercher dans l’histoire du patient pour faire le bon diagnostic”, s’enthousiasme l’experte.

Le cinéma pourrait désormais servir à réhabiliter la maladie

Autre “erreur de débutant” assez fréquente véhiculée par le cinéma : confondre schizophrénie et trouble dissociatif de l’identité, comme dans le film Split (M. Night Shyamalan), par exemple. En France, cette maladie n’est pas reconnue. « C’est un concept américain. Soi-disant, 3 à 5% de la population en souffriraient, cela fait beaucoup quand on sait que la schizophrénie touche 1% des gens, ce qui est déjà énorme. Personnellement, je n’ai jamais eu de patient qui souffrait de troubles de dédoublement de l’identité et aucun de mes collègues non plus, donc j’ai des doutes. Mais a priori, comme dans Split, chaque personnalité se succède, sans avoir conscience de l’existence des autres”, explique Marine Raimbaud. Rien à voir avec Fight Club (David Fincher) donc, où les deux personnalités interprétées par Edouard Norton et Brad Pitt échangent entre elles. 

Toutefois, certains films visent plus juste. “Je trouve que Le Soliste (Joe Wright) donne une représentation assez correcte de la schizophrénie. Ce film montre bien le sentiment de persécution dont peuvent souffrir les malades et la souffrance psychique que cela induit. Clean, Shaven (Lodge Kerrigan) illustre également bien les idées délirantes même si le film part du postulat que le personnage principal est violent”, détaille Marine Raimbaud.   

Car non, tous les schizophrènes ne sont pas violents et nombreux arrivent à mener une vie normale quand ils sont bien suivis, martèle la psychiatre. “J’ai des patients qui sont avocats, médecins, ingénieurs… Au moment du diagnostic, je leur dis tout le temps que cela ne les empêchera pas d’avoir un pavillon en banlieue et des enfants.” En effet, tout se joue au moment de l’annonce de la maladie. “A cet instant, il faut accepter ce que le patient veut savoir. Ce n’est pas parce que nous, médecins, avons décidé ce diagnostic que le malade a envie de l’entendre. Le problème majeur c’est la stigmatisation. Au début de leur maladie, les gens commencent à entendre des petites voix et se disent : ‘Non mais de toute façon je ne suis pas fou, je n’ai pas besoin d’aller voir un psychiatre’. Ca serait pourtant le meilleur moment pour venir nous voir. Plus on intervient tôt, meilleur sera le pronostic. Cependant, à cause de cette horrible image de la maladie, beaucoup trop de gens attendent pour venir nous voir. On les récupère à l’hôpital quand les troubles sont déjà installés depuis un moment. C’est alors plus difficile à soigner, les traitements sont moins efficaces.” 

Pourtant, si le cinéma fut un important vecteur de stigmatisation dans le passé, il pourrait désormais servir à, au contraire, réhabiliter la maladie. “Au lieu de sans cesse faire des films d’horreur qui se passent dans des asiles qui donnent une image abominable de la psychiatrie, on pourrait faire une campagne de publicité pour informer sur la schizophrénie ou créer des séries sur la maladie”, suggère Marine Raimbaud.

Les 18-25 ans, la cible idéale pour une série 

Une série sur la maladie, c’est justement ce que vient de faire l’association Les journées de la schizophrénie avec l’épisode zéro de sa série Schizo, la première websérie scientifique inspirée de faits réels et cautionnée par un comité d’experts. La série, créée sur la base de témoignages de malades, raconte l’histoire d’Alice, qui à son entrée en seconde dans une nouvelle école, commence à expérimenter les premiers symptômes de la schizophrénie. 

On a voulu mettre en scène un personnage qui, du jour au lendemain voit ses amis et son environnement changer. Le but en tant que spectateur c’était de se dire : ‘Comment moi je réagirai si du jour au lendemain tout ce que je connais change ?’. Grâce au panel de scientifiques, on a pu affiner le scénario pour être sûrs d’avoir quelque chose de béton et d’authentique”, expliquent les réalisateurs de la série, à l’occasion d’un événement organisé début mars par Les Journées de la schizophrénie sur les représentations de la maladie au cinéma.

Les premiers symptômes de la maladie se manifestent souvent entre 18 et 25 ans. Or, cette tranche d’âge est particulièrement sensible aux séries. “Nous voulions nous rapprocher de la cible, créer de la résonance et rompre avec la communication médicale traditionnelle, détaillent-ils. Les séries permettent un visionnage collectif qui favorise le dialogue, et c’est primordial d’échanger avec ses proches pour propager le discours. On avait donc ici un moyen fort de capter l’attention.” 

Pour Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, également présent à l’événement, “la création artistique est un levier extrêmement puissant pour changer les représentations et promouvoir l’idée de la possibilité de rétablissement dans des pathologies réputées chroniques. C’est un changement important dans la représentation de ces troubles sur lesquels il faut beaucoup insister. Quand on parle de handicap, on fait souvent référence à des difficultés fixées et, ce que nous avons découvert ces dix dernières années, c’est qu’en réalité ces situations de handicap psychiques sont mobilisables grâce à des outils spécifiques. Il faut adopter une position militante pour promouvoir cette idée que le rétablissement est possible”, poursuit-il, félicitant chaudement l’initiative de la websérie.  

Impossible de produire plus sans les moyens du cinéma

Interrogés sur le sujet, les différents intervenants à l’événement proposent par exemple de diffuser ces films “en cours d’éducation civique avec un accompagnant, un aidant ou un psychologue” pour sensibiliser les jeunes à la schizophrénie et répondre à leurs questions.  

Malheureusement, l’association, les réalisateurs et les scénaristes auraient “voulu produire toute la série mais impossible sans les moyens du cinéma”. Sans budget supplémentaire, cette initiative reste de ne pas pouvoir aller plus loin qu’un épisode zéro et un site internet décrivant les symptômes de la schizophrénie. “On espère vraiment produire la suite, pouvoir faire participer les familles et les malades pour produire un certain nombre d’épisodes montrant les symptômes en détail pendant une année. Puis, l’année suivante, pourquoi pas être dans la révélation, en montrant qu’avec les progrès de la médecine, on peut se rétablir de la schizophrénie et avoir une fin heureuse”, espère l’équipe.

 

 

 

 

 

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