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QUESTION D'ACTU

Perspectives encourageantes

Prise en charge de la schizophrénie : “les choses sont en train de bouger”

Si la France accuse un important retard dans la recherche allouée à la psychiatrie, les perspectives sont encourageantes et l'espoir est de mise, expliquent des psychiatres et chercheurs sollicités à l'occasion des Journées internationales de la schizophrénie.

Prise en charge de la schizophrénie : “les choses sont en train de bouger” KatarzynaBialasiewicz/iStock




L'ESSENTIEL
  • La schizophrénie est liée à des facteurs génétiques, épigénétiques et environnementaux
  • Le cannabis à l'adolescence peut être un déclencheur de la maladie
  • On peut vivre normalement avec cette pathologie

Comprendre les origines de la maladie, l’identifier plus tôt, améliorer le diagnostic et la prise en charge… En termes de schizophrénie(s), le chantier semble encore colossal en France. Si nous accusons un gros retard en psychiatrie à cause d’un manque de budget dans la recherche et la clinique, la situation évolue et les perspectives sont encourageantes. C'est en tout cas la principale conclusion des psychiatres et chercheurs sollicités à l’occasion des Journées internationales de la schizophrénie qui se tiennent dans neuf pays, dont la France, du 14 au 21 mars. “Il y a eu beaucoup de difficultés en termes d’investissements mais les choses sont en train de changer. Cet espoir permettra de déstigmatiser la schizophrénie”, s’enthousiasme la docteure Sarah Smadja, psychiatre au centre hospitalier Saint Anne et directrice de la Fondation Pierre Deniker.

Concernant les causes, les chercheurs tâtonnent encore. “Ce qui est certain, c’est que c’est multifactoriel et que ce n’est pas la faute des parents ou de qui que ce soit”, explique d’emblée Julien Dubreucq, psychiatre, responsable du Centre expert FondaMental schizophrénie au sein du CHU de Clermont-Ferrand, à Pourquoi docteur.

S’il y a une part de vulnérabilité génétique, un seul gène n’est pas en cause mais plusieurs, que l’on n'a pas encore complètement identifiés. Il y a également un certain nombre de facteurs épigénétiques, soit des interactions entre le gène et l’environnement. L’inflammation, les perturbateurs endocriniens, la pollution… plein de choses peuvent jouer et modifier l’influence de certains gènes. Pendant l’adolescence, l’exposition au cannabis, le fait que les rythmes chrono-biologiques ne soient pas très réguliers et l’alimentation faible en antioxydants sont autant de facteurs qui peuvent contribuer au déclenchement d’une schizophrénie plus ou moins rapide”, avance le spécialiste.

Au niveau des manifestations, un patient en crise peut avoir des symptômes positifs, soit visibles des autres, comme des hallucinations auditives. Il peut aussi avoir “l’impression que ses pensées viennent de l’extérieur”. “Son goût et son odorat sont modifiés, il peut également ressentir des hallucinations au niveau de ses sensations corporelles”, énumère Julien Dubreucq. Par conséquent, il peut “avoir tendance à surinterpréter certaines émotions de ses interlocuteurs et à se sentir très rapidement agressé par une situation et développer des idées délirantes de persécution”. 

On peut se rétablir de la schizophrénie  

Néanmoins, le malade peut aussi souvent souffrir de symptômes dits “négatifs”. Moins visibles et impressionnants pour son entourage, ils sont pourtant tout aussi invalidants, si ce n’est plus : diminution des émotions, perte de motivation et d’initiatives, difficultés à interagir avec les autres… “Il peut aussi y avoir une désorganisation dans le comportement et des troubles cognitifs. Cela peut toucher la concentration, les différentes formes d’attention ou avoir un impact sur des fonctions exécutives qui nous permettent de planifier et d’organiser des choses au quotidien et, ce qu’on appelle la cognition sociale, qui nous permet de décrypter les situations sociales et de réagir de façon appropriée dans ces contextes”, explique Julien Dubreucq. 

La liste des symptômes a beau paraître infinie, il est indispensable de savoir que l’on peut se rétablir et vivre tout à fait normalement avec la maladie. Comme souvent, plus le diagnostic est précoce et la prise en charge rapide, meilleure sont les chances de s’en sortir. L’idéal est de pouvoir “repérer les personnes dites à ultra-haut risque qui n’ont pas encore fait d’épisodes psychotiques. On peut agir pour repérer et essayer de prévenir le déclenchement de ce premier épisode, à la fois par des mesures hygiéno-diététiques, mais aussi par des thérapies cognitivo-comportementales, très efficaces pour réduire la détresse des hallucinations, l’intensité des idées délirantes et arriver à prendre du recul”, poursuit Julien Dubreucq.

Si on repère les personnes à risque tôt et qu’on arrive à intervenir avant que la situation ne dégénère, on peut prévenir l’hospitalisation ou au moins faire en sorte qu’elle se fasse de façon libre et réduire ainsi le recours à l’isolement ou la contention. On peut engager le malade plus facilement dans les soins et anticiper tout ce qui est de l’ordre de la désinsertion sociale”, détaille le chercheur. 

Le gouvernement promet “un engagement politique fort en santé mentale”

Malheureusement, en France, entre un an et demi et deux ans s’écoulent en moyenne entre les premiers symptômes et le diagnostic de schizophrénie, ce qui conduit à beaucoup trop d’internements de force. Dans l’idéal, le suivi se fait ensuite de façon à allier dose médicamenteuse minimale et stratégie de réhabilitation psychosociale. Toutefois, “la combinaison des deux n’est pas encore suffisamment généralisée sur le territoire”, déplore Julien Debreucq.

Chez nous, la psychiatrie a longtemps été le parent pauvre de la médecine. Un constat déstabilisant quand on connaît l’incidence des maladies mentales et le niveau de handicap qu’elles peuvent engendrer (une personne sur quatre souffre de troubles mentaux dans le monde, dernière les dernières estimations de l’OMS). “Les politiques suivent parfois un peu l’opinion générale qui voit d’un mauvais œil les maladies psychiques, analyse Julien Dubreucq. Heureusement, des fonds ont été débloqués récemment pour la recherche en psychiatrie mais aussi aux soins avec, par exemple, le financement de centres experts, de centres référents de réhabilitation, de centres support partout en France et l’introduction de la réhabilitation psycho-sociale dans tout le territoire… Il y a donc des choses qui évoluent”, nuance-t-il.

Nous sommes à un moment inédit avec un engagement politique fort en santé mentale et en psychiatrie”, se félicite quant à lui Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, à l’occasion d’un évènement organisé le 10 mars par l’association Les journées de la schizophrénie sur la représentation de la maladie au cinéma. Si le politique reconnaît que la psychiatrie a bien trop longtemps été mise de côté en France et que “de nombreux témoignages indiquent une très forte inadéquation entre les besoins des personnes et l’offre telle qu’elle existe aujourd’hui”, les lignes sont en train de bouger, assure-t-il.       

Vers une médecine de précision en psychiatrie 

Il y a au ministère de la Santé un engagement clair pour améliorer cette situation”, déclare-t-il, évoquant la feuille de route sur la psychiatrie élaborée en 2017 et rendue publique en 2018. Cette dernière contient selon lui “37 mesures très concrètes pour essayer de reformuler l’offre de soins en fonction de besoins les plus essentiels non couverts.”

Pour Marion Leboyer, professeure de psychiatrie à l’université Paris-Est Créteil, responsable du DMU Impact à l’AP-HP au groupe hospitalier Henri Mondor et directrice de la fondation FondaMental, l’enjeu principal consiste à mettre au point une médecine de précision dans le secteur de la psychiatrie. “Pour moi il n’y a pas une schizophrénie mais des schizophrénies. Par conséquent, on a besoin que la recherche nous apporte des outils pour diagnostiquer les schizophrénies différentes et c’est tout l’enjeu de la médecine de précision en psychiatrie. Cette médecine a déjà été à l’œuvre dans des pathologies comme le cancer et on a pu identifier les signatures, les formes cliniques, les causes et donc des stratégies spécifiques et adaptées à chaque forme de la maladie”, explique-t-elle.

On travaille à essayer d’identifier les causes et mécanismes pouvant contribuer à la schizophrénie et de repérer les biomarqueurs pour arriver à un diagnostic plus précoce. On étudie aussi de nouvelles approches pour proposer une médecine personnalisée en fonction de tous les paramètres qu’on peut évaluer dans les centres experts… Il s’agit de pouvoir proposer le bon traitement à la bonne personne, au bon moment, qui corresponde à son objectif de vie et un suivi pas que pharmacologique”, renchérit Julien Dubreucq. 

La recherche est donc fondamentale mais aussi appliquée : on va valider un certain nombre de stratégies de soins, notamment de réhabilitation psychosociale, d’éducation thérapeutique des aidants (parents, frères, sœurs, conjoint), de thérapie comportementale… La recherche est très dynamique sur un certain nombre d’axes mais elle gagnerait à être encore plus poussée”, détaille-t-il. 

Donner de l’espoir dès le diagnostic

Pour que le traitement et le suivi fonctionnent, encore faut-il que le patient accepte d’être pris en charge. Or, de nombreux schizophrènes refusent leur diagnostic. “Le problème c’est qu’il y a un phénomène très lié à la stigmatisation et à l’auto-stigmatisation qui est l’internalisation des stéréotypes”, déplore le Julien Dubreucq. En effet, personne n’a envie d’avoir “schizophrène” collé sur le front étant donné la représentation que les gens ont de la maladie. Dangerosité, incompétence… les idées reçues ont la vie dure dans l’opinion publique et “personne n’a envie de s’identifier à ça”.

Pour beaucoup de patients, recevoir ce diagnostic de schizophrénie est extrêmement douloureux parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans les représentations populaires de cette pathologie. Ils intériorisent le stigmate véhiculé par la société”, renchérit le docteur Sarah Smadja. 

Aussi, certains malades ont conscience d’avoir des symptômes mais refusent de s’identifier en tant que schizophrène. Ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose, assure Dubreucq. “Il y a des personnes qui se présentent en disant : ‘Je suis schizophrène’ et se définissent principalement par rapport à leur maladie. Cela entraîne souvent un risque dépressif et suicidaire très accru, un moins bon fonctionnement social, professionnel… les conséquences peuvent être catastrophiques”, explique-t-il. 

Pour le spécialiste, pour éviter de tomber là-dedans, tout se joue au moment du diagnostic. “Il faut directement aborder la question du rétablissement, expliquer qu’il y a plein de personnes schizophrènes qui ont des vies correspondant à leurs objectifs. Elles peuvent travailler, se marier, avoir des enfants, mener à bien tous leurs projets. Le but, c’est de les accompagner dans ce sens. Personne n’aura envie de s’identifier à l’image de quelqu’un qui n’a aucune chance de s’en sortir et qui représenterait un danger pour lui-même ou les autres. Il faut arriver à sortir de cette étiquette et déconstruire la représentation que les gens peuvent avoir sur la schizophrénie.”

Réduire l’auto-stigmatisation   

Les malades peuvent se rétablir mais la maladie ne disparaît jamais vraiment, car un suivi reste nécessaire. “Le rétablissement n’implique pas qu’il n’y a plus de limites fonctionnelles, ou de handicap. Cela implique que la personne sait ce qu’elle ne peut pas faire et connaît l’étendue de ses possibilités. A terme, il s’agit d’améliorer sa qualité de vie, de réussir à s’investir dans la communauté, dans quelque rôle que ce soit et de pouvoir définir une identité positive au-delà de la maladie. Cela ne veut pas dire que les schizophrènes n’ont pas besoin d’aide, de médication ou de soutien médico-social dans leur vie quotidienne. Mais le handicap psychique est très fluctuant en fonction des périodes”, déclare Julien Dubreucq.

Il salue l’initiative des Journées internationales de la schizophrénie et le rôle des médias, quand ces derniers ne parlent pas de la maladie “dans le cadre d’un fait divers”. “La stigmatisation reste un poids conséquent et a beaucoup d’effets sur les personnes concernées. Plus on vit dans un pays avec un niveau de stigmatisation public important où les gens ont une opinion négative des personnes qui ont des troubles psychiatriques et qui consultent un psychiatre, plus elle est marquée. Il y a donc un vrai enjeu à réduire l’auto-stigmatisation pour faciliter le fait d’aller consulter chez un psychiatre, de pouvoir être diagnostiqué plus tôt et d’être admis plus rapidement des soins orientés rétablissement”, conclut le chercheur.

 

 

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