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Opinion

Lévothyrox : souffrance pour les patients, gâchis pour la science, humilité pour notre savoir !

Le Professeur Jean-François Bergmann est chef du département de médecine interne de l’hôpital Lariboisière à Paris, professeur de thérapeutique à l’université Paris-Diderot et ancien vice-président de la commission d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) des médicaments. C’est un spécialiste reconnu du médicament.Il a envoyé à Pourquoi Docteur cette analyse de ce qui est en train de devenir une affaire sanitaire grave.

Lévothyrox : souffrance pour les patients, gâchis pour la science, humilité pour notre savoir ! Pr Jean-François Bergmann




BEAUCOUP DE FUMEE, PAS DE FEU !

Tout ce que vous allez lire ci-dessous est hypothétique, sauf que cette hypothèse a de très fortes probabilités d’être vérifiée : les données actuelles de la science laissent fortement à penser que les troubles subjectifs observés récemment chez les patients traités par la nouvelle formulation de Levothyrox® ne sont pas liées au produit et n’ont pas de substratum organique.

L’argument le plus fort à l’appui de cette hypothèse est pharmacologique

Le mannitol et l’acide citrique qui ont remplacé le lactose ne peuvent entraîner les manifestations décrites. On les retrouve à des doses nettement plus élevées dans de nombreux aliments, notamment les bonbons et chewing-gums sans sucre sous les noms de code E421 et E330, ainsi que dans de très nombreux autres médicaments sans qu’aucun effet indésirable n’ait été rapporté. Ces mêmes nouveaux comprimés de Levothyrox sont largement utilisés dans d’autres pays sans qu’aucun trouble n’ait été notifié. 

Le deuxième argument est physiopathologique

Ce n’est pas le médicament qui est à marge thérapeutique étroite, c’est la maladie qui est à fluctuation évolutive large. Les malades hypothyroïdiens même correctement traités ont spontanément d’importantes variations symptomatiques. Il est plus facile d’accuser un médicament que d’accepter cette évolution imprévisible. D’ailleurs, les troubles récemment décrits apparaissent alors que le dosage de la TSH, témoin du contrôle de la maladie, reste dans la normale, ce qui prouve bien que le médicament remplit sa mission thérapeutique. Lorsqu’un malade recevant 75µg de Levothyrox est insuffisamment contrôlé, on passe à 100 µg, soit une augmentation de 33 %, c’est dire si la marge thérapeutique n’est pas si étroite que ça !

Le dernier argument est psycho-sociologique

Les symptômes décrits sont réels, loin de moi l’idée de les nier ou de les négliger. Mais tous les examens cliniques et complémentaires de ces patients sont normaux. Le caractère stéréotypé des symptômes purement subjectifs et la cinétique de « l’épidémie » laissent fortement penser que les réseaux sociaux ont servi de caisse de résonance, d’amplificateur dans une spirale collective totalement disproportionnée : il est impossible qu’un peu de mannitol et d’acide citrique puissent entraîner tout ça. En revanche, l’effet nocebo qui existe dans tout médicament de façon indépendante de l’activité pharmacologique est extrêmement sensible à l’environnement de la prise médicamenteuse. Un climat de confiance le fait disparaître, une angoisse médiatisée l’amplifie et  l’acutise.

Que faire ?

Exiger le retour à la précédente formule de Levothyrox moins stable, donc potentiellement moins efficace, ne résoudra rien à long terme. Si la décision de la ministre de remettre temporairement l'ancienne formule à disposition est logique dans l'immédiat ("il faut écouter ses concitoyens") et permettra de voir disparaître les troubles psychosomatiques, elle est catastrophique pour l'avenir : la stigmatisation de la classe pharmacologique est officialisée, les troubles vont réapparaître lorsque l'ancienne formule va disparaître à nouveau, et les futurs génériques de Levothyrox vont eux aussi être accusés de tous les maux (ils l'étaient déjà avant même leur arrivée !).
Accuser le laboratoire, qui a été contraint par les agences sanitaires à ce changement de formulation pour faciliter le traitement des patients, est bien injuste. Le prix du médicament reste inchangé (9 centimes le comprimé).
Se répandre sur l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire est plus paranoïaque que constructif : ils gèrent la crise comme une administration sait gérer une crise …

Au final

Des milliers d’euros vont être dépensés pour vérifier la qualité de la nouvelle formulation, pour refaire des études expérimentales chez l’animal et chez l’homme, pour colliger tous les effets indésirables déclarés et en faire l’analyse épidémiologique.
Mais j’ai la faiblesse de penser que mes hypothèses pharmacologiques, physiopathologiques et sociologiques se verront vérifiées par l’épreuve du temps et que toutes ces études seront négatives. Dans quelques mois, comme toujours dans ces manifestations collectives, tout va rentrer dans l’ordre spontanément.

Quelle souffrance pour les patients, quel gâchis pour la science, quelle humilité pour notre savoir !

Professeur Jean-François BERGMANN

 

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