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La famille et son histoire

" La psychogénéalogie permet la réconciliation avec son ascendance !"

Comment l'histoire de nos ascendants ou des secrets de famille peuvent impacter notre vie sans que nous en ayons conscience ? C'est tout l'objet de la psychogénéalogie. Barbara Couvert, auteur du livre "Hériter de l'histoire familiale" et elle-même psychogénéalogiste, explique les mécanismes en jeu en citant des références qui sont effectivement troublantes ...

\ SteveAllenPhoto/iStock

  • Publié le 21.05.2021 à 10h00
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- Vous venez de publier un livre, « Hériter de son histoire familiale? Ce que la science nous dévoile sur la psychogénéalogie ». Quelle définition donneriez-vous de la psychogénéalogie ?

Barbara Couvert : Je dirais que la psychogénéalogie est la mise à jour et éventuellement la thérapie de l’impact d’événements familiaux graves sur le psychisme de membres d‘une famille qui n’ont pas vécu directement ces événements mais qui en ont été marqués, qui en ont hérité.

- Mais en fait, est-ce une science ou une pratique ?

Est-ce vraiment une science ? On est dans l’idée des sciences dures et des sciences molles, cela ne peut être et fort heureusement qu’une science molle. En tout cas dans ma pratique, il y a une part d’intuition, on n’est pas dans du « un plus un égal deux », on est dans un monde beaucoup plus large.

- Qu’est-ce qui vous a amenée à vous passionner pour ce sujet ?

Il y a beaucoup de raisons ! La plus immédiate à évoquer, c’est ma rencontre avec Anne Ancelin Schützenberger (celle qui a développé la pratique de la psychogénéalogie dans les années 1970, l’auteur de « Aie, mes aïeux », un livre retentissant NDLR) avec laquelle j’ai travaillé durant neuf ans. J’ai aussi travaillé mais sous un angle plus sociologique, avec Vincent de Gaulejac qui a fait tout un travail sur l’impact de l’histoire familiale sur chacun d’entre-nous, l’histoire ne devant pas seulement s’entendre à travers des événements mais aussi à partir des milieux, des classes sociales, de la transformation du statut d’une famille.

Et puis, je m’appelle Barbara et je suis née un 19 juin : mon prénom et ma date de naissance me lient aux bombardements de Brest le 19 juin 1940 et au poème que Prévert a écrit sur ce bombardement ! Mais c'est une longue histoire !

Mon questionnement est parti du constat des répétitions d’événements ou de dates, que l’on voit souvent quand on travaille sur un arbre généalogique. Je me demandais par exemple comment il est possible que l’on naisse ou meure à la date anniversaire de la naissance ou de la mort d’un événement historique ou d'un aïeul.

Prenons le cas de ma famille : mon arrière-grand-père était un enfant batard qui ne connaissait pas son père, ce qui, à l’époque, était très honteux. Un lointain cousin avait fait la généalogie de la famille Couvert dans les Ardennes et citait le village dans lequel mon grand-père était né ; et nous n’apparaissions pas dans des documents ! Pour moi, pourtant, il n’y avait aucun doute, c’était bien notre famille … mais nous en étions absents. Pour retrouver la lignée nous avons fait l'hypothèse que le fils (mon arrière-grand-père) portait le même prénom que son père, Jules en l'occurrence. Mais ce prénom était très courant à l’époque. Et en entendant ce prénom, ma sœur qui, enfant, séjournait souvent chez nos grands-parents s’est souvenue d’un nom qu’elle avait souvent entendu citer : Brasseur, elle a dit "Jules Brasseur". Ce Jules Brasseur est né le 12 avril 1843. J'ai dit : c'est lui. Notre père est né le 12 avril 1923, quatre générations date à date.

Naître avec cette précision à la même date anniversaire mais à plusieurs générations de distance, cela ne peut pas être une coïncidence ! D'autant plus que cette génération comportait aussi les mêmes dates de naissance que l'une de mes soeurs et que moi. C'est statistiquement incalculable. Comment un truc pareil est-il possible ? C’est là le point de départ de ma recherche !

- Pour revenir au sous-titre de ce livre, « Ce que la science nous dévoile sur la psychogénéalogie », comment expliquez-vous « scientifiquement » que nos gènes puissent être impactés par des événements parfois très lointains ?

Ce sont les découvertes de cette nouvelle science qu’est l’épigénétique. Que se passe-t-il ? J’ai un traumatisme psychologique, j’apprends une nouvelle épouvantable, ce traumatisme, et c’est vrai pour n’importe quel traumatisme qu’il soit individuel ou collectif, a forcément un impact physiologique. Sur le moment, il y a des signes que l’on peut voir, comme la peur qui se manifeste par des tremblements, mais il y a aussi des signes que l’on ne voit pas : toute la circulation des informations par le biais des hormones, du système nerveux ou du sang -  je ne suis pas biologiste et n'ai qu’une vision très simpliste de ces mécanismes - qui fait qu’un traumatisme impacte le corps et atteint les cellules. Il peut atteindre les cellules de reproduction, spermatozoïdes ou ovules, que nous portons, et ainsi atteindre nos gènes et donc aussi ceux de nos descendants.

- Est-ce que des études ont établi la réalité de mécanisme ?

Ce sont des études épidémiologiques qui permettent de montrer la réalité de ce mécanisme. Une étude célèbre porte sur les descendants des rescapés de la famine organisée aux Pays-Bas par les Allemands, en 1944. Elle montre que statistiquement ils ont de gros risques d'être plutôt obèses et d'avoir des fragilités psychologiques. Les gènes ont transmis une sorte d’alerte face au défaut de nourriture : leur corps réagit en ayant faim, mais aussi en étant gros et ils sont plus facilement anxieux. D'autres études portant sur les descendants de survivants à la Shoah montrent un déficit de cortisol, l’hormone qui protège du stress. Ils sont plus sensibles au stress que les descendants de ceux qui n'ont pas directement subi la Shoah.

- Mais alors, serions-nous tous prédestinés ?

On nait avec des ressources et des déficit, un capital particulier, mais ce capital, on en fait aussi ce que l’on veut ! Il y a une volonté personnelle d’évoluer de telle ou telle manière ou de ne pas bouger. Regardez ce qui se passe avec les enfants qui ont été victimes de familles abusantes ou de prédateurs sexuels. Si certains ont pu un jour, en raison de ces antécédents, commettre un geste déplacé, beaucoup ont su se dire : « Mais ce n’est pas possible, je ne veux pas ! pas moi !», et ont cassé ce schéma. Il y a vraiment toujours des choix possibles.

- Comment s’appuyer sur des événements parfois très anciens, cachés ou inconnus pour comprendre l’impact qu’ils ont sur nous?

Ces événements ne sont pas forcément cachés. Ils sont souvent juste devant nous. Je cite le cas d’Irène : à 44 ans, elle se plaignait de palpitations dont elle commençait à souffrir… au même âge que celui qu’avait sa mère lorsque celle-ci a également commencé à avoir des palpitations. Je lui ai demandé ce qui c'était passé quand sa mère avait eu quarante quatre ans ou bien si un événement avait pu marquer sa famille en 1944. Elle a dit immédiatement qu'en 1944, sa grand-mère, française, était tombée enceinte d’un soldat allemand qui avait ensuite disparu dans la tourmente de la Libération. Elle s’était retrouvée fille-mère avec l'angoisse de cette situation et le chagrin. Irène le savait, mais n’avait jamais fait le lien avec les palpitations de 44 ans ! C'est précisément cela le travail de psychogénéalogie, faire prendre conscience, de l'impact sur soi d'événements que l'on connaît mais qui semblent étrangers à notre expérience.

- Peut-on faire un parallèle entre la psychogénéalogie et la psychanalyse ?

L’inconscient de la psychanalyse est un inconscient dû au refoulement. On ne parle pas du même inconscient dans la psychogénéalogie. On est plutôt dans une sorte d’aveuglement que je rapproche de l’état de stupeur qui se produit quand on subit un traumatisme. Et c’est comme si cet aveuglement était transmis et empêchait d’aller au-delà d'un constat et de comprendre comment il nous atteint.

Par ailleurs en psychogénéalogie, l'entretien se fait en face à face et s'appuie sur un outil, le génogramme, qui est un arbre généalogique commenté élaboré au cours de l'échange. C'est à partir de lui que l'on peut faire émerger les liens avec les événements qui ont atteint une famille.

- Il y a cet effet d’aveuglement, mais aussi l’impact de faits qui sont devenus des secrets de famille parce que se taire c’est protéger ses descendants …

J’ai travaillé sur le secret de famille. Cela m’a appris que dans la plupart des cas, protéger les enfants n’était pas le sujet, que ce silence permettait de se protéger d’abord soi-même ! sauf si l'on est menacé parce que l'on appartient à telle ou telle ethnie ou religion. Mais en effet les secrets de famille ont un impact sur les descendants parce qu'ils se manifestent, ils "parlent", les descendants savent sans savoir qu'ils savent et cette connaissance inconsciente, non-consciente peut modeler en partie leur vie.

- Mais justement, est-ce que ce travail d’enquête sur ce qui a pu se passer il y a parfois très longtemps ne risque pas de rouvrir des plaies que l’histoire retenue avait fermées ?

Il y a en effet parfois des légendes dorées douloureuses à éclairer. Mais cela peut être aussi le contraire. En fait, si les plaies sont "fermées", elles ne sont pas douloureuses, la famille a apaisé la douleur ou la honte à l'origine du secret. Si les plaies sont toujours à vif, le travail d'enquête permet de les panser. En essayant de comprendre, on s’apaise, on apaise des relations conflictuelles avec des membres de la famille, vivants ou morts. La psychogénéalogie permet la réconciliation avec son ascendance !

- Des générations après, comment savoir, comme vous le dites dans votre livre, « entendre ce qui n’est pas dit » ?

Il y a des signaux. Mais il faut savoir les entendre. Irène avait le signal des palpitations cardiaques, comme sa mère, mais elle n'a pas su les interpréter. Il faut de toute façon toujours chercher, enquêter, choisir entre se poser des questions ou accepter les choses sans les analyser ou les remettre en question …

- Pour éviter de faire « porter » aux générations à venir le poids de certains traumatismes, devrait-on toujours raconter l’histoire de sa famille « à livre ouvert » ?

Je raconte l’histoire de cet homme qui avait trois ans quand son père s’est noyé la veille de Noël dans un port, et auquel ni la mère ni les grands frères n'ont parlé de l'accident. Il s'est suicidé un soir de Noël alors que sa propre fille avait trois ans, l’âge qu’il avait lui-même quand son père est mort. Ce genre de répétition, le "syndrome d'anniversaire " est l'un des aspects les plus spectaculaires que la psychogénéalogie met en évidence.

Il y a différentes façons de vivre un événement. Un tel drame, pleuré en famille et avec les amis n'aurait pas impacté les descendants de cette manière. Ne pas pouvoir dire à ses enfants que leur père était mort, c’est fou ! La mère était sans doute une " taiseuse ". Cela veut dire qu’elle-même portait déjà des drames indicibles, peut-être aussi qu'elle était certes très atteinte par la mort de son mari mais peut-être aussi très soulagée … Et que ses contradictions intérieures l'ont empêchée de parler.

Un événement peut être vécu de façon contradictoire. Donc il n’y a pas d’histoire familiale réelle, les faits sont toujours reçus individuellement. Nous sommes quatre sœurs. Aucune d’entre nous n’a les mêmes souvenirs d’enfance, d’une certaine manière, nous n’avons pas les mêmes parents !

- Certains critiquent cette démarche de psychogénéalogie en affirmant qu’elle peut comporter un risque de souvenirs induits, qu’elle pourrait amener à donner de l’importance à des faits qui soit n’existent pas, soit ne sont pas la vraie cause des traumatismes ?

Il n’y a pas de vérité absolue, il y a une histoire mais on ne sait jamais comment elle peut impacter les gens. C’est vrai que certaines personnes ont pu avoir des pratiques douteuses. Mais il y a une éthique pour les professionnels de psychothérapie : précisément ne pas induire des idées ou des émotions. Leur compétence, c’est l’écoute de l’autre c'est-à-dire amener l'autre à s'entendre lui-même et surtout pas à avancer son interprétation ou ramener les choses à lui. C’est pour cela qu’il faut avoir travaillé sur soi.

- La crise sanitaire que nous vivons est-t-elle un de ces événements qui laissent des traces sur les générations futures ?

Je pense, oui. Cela aurait duré un ou deux mois, l'effet en aurait pu être un peu atténué. Là, cela fait plus d’un an, les jeunes aussi bien que les adultes sont très déstabilisés, il y a une montée de l’angoisse, des deuils très compliqués, toutes les peurs de la mort que l’on cachait resurgissent. Et puis il y a les drames sociaux avec une recrudescence de la misère …

"Hériter de l'histoire familiale ? Ce que la science nous dévoile sur la psychogénéalogi", par Barbara Couvert, Editions du Rocher
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