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Changements de comportements

Comment le cas de la bise révèle notre capacité à nous adapter à la crise sanitaire

La majorité des Français estiment qu'ils ne recommenceront pas à faire la bise, une fois la crise sanitaire terminée. Apparemment anodine, cette donnée témoigne en réalité des nombreux changements de comportements auxquels nous avons été contraints depuis plus d'un an. Si les scénarios envisageables sont multiples quant à l'évolution de nos pratiques de salutation, une chose est certaine : l'humain s'adapte, quelle que soit la situation.

Comment le cas de la bise révèle notre capacité à nous adapter à la crise sanitaire Deagreez/iStock

  • Publié le 30.04.2021 à 10h00
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L'accolade aux États-Unis, la bise en France… "Toutes les sociétés humaines ont des techniques du corps de présentation, de salutation, dédiées à la rencontre", indique Marie-Pierre Julien, sociologue et anthropologue. Si un article de France Culture établit ses origines au "baiser" des Anciens, et son développement sous la forme qu'on lui connaît à la Renaissance, la pratique de la bise dans l'espace public s'est réellement démocratisée avec Mai 68, les jeunes s'appropriant un rituel jusqu'alors assez inhabituel et bourgeois. Normalisée, puis banalisée, cette coutume est sortie de la sphère amicale et familiale dans les années 1990 pour gagner le milieu professionnel – les "cols blancs" en tête, comme le souligne Marie-Pierre Julien.

Pourtant, la spécialité française qu'est devenue la bise ne semble pas échapper aux changements induits par la pandémie de Covid-19. Selon une étude Ifop parue en mars dernier, 50% des Français estiment qu'ils arrêteront certainement, voire probablement, de faire la bise aux membres de leur famille, à leurs amis et à leurs collègues, une fois la crise sanitaire terminée. Un chiffre qui monte à 78% lorsqu'il s'agit des inconnus. Face à ces données, Marie-Pierre Julien est catégorique. "La crise va redéfinir notre rapport à la bise", annonce-t-elle. En cause notamment : la prise de conscience collective de la transmission du virus. 

"Un geste évident est devenu source de malaise"

"On connaissait déjà bien le transport des microbes avant, notamment avec la sensibilisation autour de la grippe et la gastro, mais c'est d'autant plus visible depuis un an, témoigne Béatrice, 54 ans. Pour moi, c'est plutôt une mesure d'hygiène que de précaution". Néanmoins, elle ressent le "besoin" d'avoir des contacts physiques. "Je privilégierai l'accolade avec mes proches car elle permet de montrer son affection, sans qu'il n'y ait de proximité avec la bouche", envisage-t-elle, en précisant qu'elle se limitera à une poignée de main avec les étrangers. 

Les pratiques des Français n'ont pas attendu le retour à la "normale" pour évoluer. Le 13 mars 2020, quatre jours après l'entrée en vigueur du premier confinement, on pouvait déjà lire dans Le Monde que devoir éviter tout contact avec autrui avait mené à l'avènement du "check". Une tendance qui se confirme : aujourd'hui encore, on se tape le poing, le coude, ou même le pied pour se dire bonjour et au revoir. "La période un petit peu troublante est celle du remplacement, estime Marie-Pierre Julien. D'un coup, le quotidien de tout le monde est perturbé : un geste évident, qui se faisait sans réfléchir, est devenu source de malaise, car on doit se mettre d'accord sur une nouvelle forme de salutation".

La sociologue fait allusion aux ratés et aux hésitations qui peuvent désormais s'installer lors des premières secondes d'une interaction sociale. "Les techniques du corps de présentation ne sont jamais immuables, rassure-elle. C'est normal qu'elles évoluent". La démocratisation de la bise en est la preuve. "Il y aura des changements de comportements explicites pour tout le monde", surenchérit Audrey Chapot, anthropologue. À partir de là, le champ des possibles est ouvert. Le check remplacera-t-il la bise à long terme ? Restera-t-elle dans la sphère privée seulement ? Différents comportements, tels que l'accolade, se développeront-ils dans un cercle plus large ? Difficile à dire. 

La bise, un révélateur des changements de comportements 

"Je pense que la bise reviendra, envisage Audrey Chapot. Si c'est le cas, cela concernera probablement une partie de la population, moins frileuse, et peut-être dans certaines circonstances uniquement". Elle évoque l'idée de voir se créer une scission des procédés, mais pas forcément du groupe. "La bise ne va-t-elle pas créer une contre-culture ?, interroge Marie-Pierre Julien. Entre ceux qui ne voudront pas la faire et les autres, elle pourrait peut-être devenir un signe de reconnaissance et d'appartenance". Quels que soient les scénarios qu'elles imaginent, les expertes se montrent prudentes : rien n'est sûr. "Ce qui l'est, c'est que peu importe comment la pratique de la bise évolue, il faudra que l'on trouve un palliatif pour maintenir un contact physique direct avec autrui, martèle Audrey Chapot. Anthropologiquement parlant, l'être humain a besoin de contacts physiques. Sinon, il ne se sent pas vivant, pas suffisamment en lien".

Certes, s'intéresser à la bise peut sembler anecdotique. "Mais, en même temps, c'est un révélateur de ce qu'il se passe avec de nombreux comportements de la vie de tous les jours, dans la rue, la sphère privée, professionnelle, ou encore amicale", énumère la spécialiste. Directives gouvernementales, contraintes juridiques, rythme de la société… Ne plus se faire la bise n'est qu'un des changements d'habitudes qui nous ont été imposés. "Directement ou non, ils nous amènent à tout remettre en cause", poursuit l'anthropologue. En concernant à la fois notre rapport à nous-même, aux autres, et au monde, ce questionnement donne lieu à un éventail de postures différentes et de possibilités nouvelles. 

"On sait rebondir de tout"

Poussons le raisonnement. Si l'on extrapole, la manière dont nous sommes parvenus à repenser nos techniques du corps montre la capacité d'adaptation et de souplesse, consciente ou non, dont nous sommes dotés. "Chacun peut subir la situation, en pâtir, attendre que ça passe et mourir à petit feu, ou se dire : 'C'est embêtant, inconfortable, mais qu'est-ce que je peux faire pour garder mon dynamisme, ma capacité d'action, et trouver mon compte le mieux possible ?'", souligne Audrey Chapot. Derrière le cas de la bise, il est en réalité question de notre faculté à rester acteur de notre vie en dépit des circonstances actuelles.

"On sait rebondir de tout, assure l'autrice du livre Tel un roseau : Souple et ancré dans un monde qui chahute. La vie, c'est du changement perpétuel à tous les niveaux. Savoir s'adapter à des bouleversements que l'on choisit ou que l'on nous impose est un signe de pleine santé". Climat, lieux, sociétés, contraintes structurelles, organisationnelles, de travail… Depuis le début de notre existence, nous nous sommes sans cesse ajustés. De fait, l'adaptation est aussi normale, continuelle et incessante que le changement. Plus, elle dépend de lui : s'il est invisible à l'œil nu et se fait sur le long terme, elle sera souple. Ainsi, en suscitant un changement brutal, la crise sanitaire a induit la nécessité de s'adapter rapidement. "Après, il n'y a pas de règle unique : il existe de multiples façons de le faire, nuance Audrey Chapot. Mais ceux qui refusent le changement auront des difficultés".

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