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L'interview du week-end

Rééducation, douleurs, Alzheimer... Comment le jeu vidéo peut être un atout pour le soin

Gestion de la douleur, lutte contre l’Alzheimer, traitement des phobies... Souvent critiqué pour sa nature addictive, le jeu vidéo peut être un outil d'avenir dans le domaine du soin. Catherine Rolland, en charge de la chaire Sciences et jeu vidéo (ScienceXGames) à l’Ecole polytechnique depuis 2019, nous en dit plus.

Rééducation, douleurs, Alzheimer... Comment le jeu vidéo peut être un atout pour le soin EvgeniyShkolenko /istock




Pourquoi Docteur : En quoi le jeu vidéo peut-il être un outil thérapeutique ?

Catherine Rolland : Il peut être un atout tant du côté des patients que du côté des professionnels de santé et des aidants. Les patients d’abord : le jeu vidéo permet de les « divertir » au sens littéral du terme, notamment pour la gestion de la douleur. Prenons l’exemple des grands brûlés qui souffrent lors des manipulations, des changements de bandages ou même après, lors de la rééducation pour réapprendre à faire des mouvements : grâce à des casques de réalité virtuelle, ils sont immergés dans un univers éloigné de ce qu’ils sont en train de vivre. Par exemple, dans « Snow world », le joueur évolue dans un environnement de glace et doit lancer des boules de neige sur des pingouins... Cela divertit le cerveau du patient, qui doit renvoyer une multitude d’informations liées au jeu, et donc se focaliser sur autre chose que la douleur. C’est comme la télévision, mais en mieux, car il y a une interactivité. L’idée est de capter l’attention du patient pour la détourner de ce qu’il est en train de subir. Le cerveau est comme « trompé » !

Le jeu vidéo joue donc aussi sur la motivation d’un patient à se soigner...

La motivation n’est en effet pas toujours à son comble chez les gens malades ou diminués... La thérapie par le jeu vidéo fonctionne bien chez les patients en rééducation, notamment ceux victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC). Dans « Voracy Fish », par exemple, le joueur incarne un poisson affamé, l’objectif étant de le faire grossir en dévorant d’autres poissons. Sa main sur un joystick, le patient effectue différentes actions dans un cadre ludique et coloré... ce qui lui fait faire inconsciemment des mouvements adaptés à la rééducation de ses membres ! C’est un outil qui incite à aller plus loin dans le processus de rééducation, tellement indispensable après un AVC.

Autre exemple, le jeu « Re-mission », à destination des enfants atteints de leucémie qui peinent à s’engager dans leur traitement. Le joueur y incarne un anticorps qui lutte contre les cellules cancéreuses dans son organisme. En plus de leur faire mieux comprendre ce qu’il se passe dans leur organisme, c’est un outil qui leur donne l’impression d’être acteur dans la lutte contre la maladie. Résultat, ils sont plus enclins à suivre leur traitement.

Gestion de la douleur, motivation... Quels autres intérêts le jeu vidéo présente-t-il pour le patient ?

Il est beaucoup utilisé dans le cadre de la maladie d’Alzheimer. « Sea Hero Quest », par exemple, est un jeu d’orientation dans l’espace 3D. Alors que le sens de l’orientation est l’une des premières capacités que perdent les personnes souffrant d’Alzheimer, le jeu va permettre de remobiliser cette faculté. Et donc de repérer, grâce aux comportements dans le jeu, les patients qui risquent de développer une dégénérescence, et ainsi de poser un pré-diagnostic. En plus d’être un outil de détection de la pathologie, le jeu vidéo peut même servir à ralentir son développement : les jeux de tir à la première personne (dits "first person shooter"), par exemple, permettent de stimuler l’attention et les réflexes des patients, ce qui a pour effet de limiter la progression des maladies dégénératives.

Le jeu vidéo peut également être utile dans le cadre des troubles psychologiques. Et en particulier pour les patients atteints de phobies (peur du vide, du regard des autres...). A la manière des thérapies comportementales et cognitives qui utilisent « l’exposition », l’immersion en réalité virtuelle, via un casque de simulation, leur permet de se confronter à leurs peurs... mais sans les risques de la situation réelle.

Vous disiez que le jeu vidéo est aussi un atout pour les aidants et le personnel soignant...

Pour les aidants, le jeu vidéo peut être un gage de dialogue. Dans « Elude », on incarne un personnage qui doit s’élever le plus haut possible dans les arbres, mais attention aux chutes ! Ce jeu permet une meilleure compréhension de ce que peut vivre un dépressif, avec les hauts et les bas – le concept de rechute, en somme. C’est un outil de médiation qui permet donc aux familles de pouvoir parler de la pathologie avec la personne dépressive. Et ainsi savoir quel comportement adopter, comment accompagner... D’une manière générale, le jeu vidéo peut servir à maintenir le lien social - comme l’avait affirmé l’Organisation mondiale de la santé pendant les confinements liés au Covid.

Pour les professionnels de santé, c’est d’abord sur la formation que le jeu vidéo peut être intéressant. De plus en plus d’outils numériques, comme la réalité augmentée, sont en effet utilisés pour apprendre aux praticiens les réflexes médicaux et les gestes chirurgicaux. Immergés dans une salle d’opération virtuelle, ils peuvent ainsi s’entraîner à la pratique sans risquer la santé des patients.

Le jeu vidéo peut-il être une solution contre les déserts médicaux et le manque de personnel ?

Un des gros points forts du jeu vidéo, c’est de pouvoir proposer un objet thérapeutique indépendamment de la présence d’un praticien. Dans un contexte de déserts médicaux et de crise du personnel soignant, ce n'est pas négligeable. Par exemple, entre deux séances de rééducation physique auprès d’un praticien, le patient peut continuer à se rééduquer seul, avec le jeu vidéo paramétré selon ses besoins, ses difficultés, sa progression. Car le médecin, lui, aura accès à distance à toutes vos données et pourra ainsi adapter le jeu vidéo au fur et à mesure. Sans compter que pendant ce temps-là, il pourra se dédier, en chair et en os, à d’autres patients.

Peut-on imaginer un jour des jeux vidéo prescrits par les médecins, voire remboursés par la Sécurité sociale ?

C’est déjà le cas dans certains pays, par exemple en Australie avec « Sparx », un jeu à destination des personnes dépressives : le joueur doit détruire les pensées négatives de son avatar avec des boules de feu. On peut aussi citer « EndeavorRX », le tout premier jeu vidéo visant à soigner les TDAH (Trouble Déficit de l'Attention avec ou sans Hyperactivité) chez les enfants, et prescrit comme médicament aux Etats-Unis. Mais attention, le jeu vidéo ne doit pas être vu comme un traitement ou un médicament, ni un substitut aux médecins, bref une porte ouverte à un système de soins totalement dépourvu de contact humain ! C’est seulement un outil supplémentaire qui apporte des solutions concrètes, notamment en matière de rationalisation des efforts. Quoi qu’il arrive, nous aurons toujours besoin de l’humain pour interpréter les résultats au cas par cas et adapter le soin.

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