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QUESTION D'ACTU

L’interview du week-end

Marion Rolland : «Un sportif n’est pas un superman, il peut aussi avoir des failles»

Afin que leur mal-être mental soit considéré au même titre qu’une blessure physique, de plus en plus d’athlètes prennent la parole. C’est le cas de la skieuse américaine Mikaela Shiffrin. Elle participe aux Jeux Olympiques d’hiver de Pékin 2022 qui viennent de démarrer. À cette occasion, Marion Rolland, championne du monde de ski et présidente de CREDIR Sport, nous explique pourquoi les souffrances et les blocages psychologiques restent encore tabous dans le sport.

Marion Rolland : \ (c)agencezoom




- Pourquoi docteur : Aux Jeux Olympiques d’hiver de Vancouver en 2010, vous êtes tombée à quelques mètres de la ligne de départ. Cette chute vous a valu une blessure des ligaments croisés mais également un déchaînement médiatique. Comment avez-vous vécu cette situation ?

Marion Rolland : Cette période était très compliquée. Ce n’est pas la blessure au genou qui m’a fait du mal, car lorsque l’on fait du sport de haut niveau, on est plus ou moins préparé à souffrir de lésions. Pour moi, c’est le côté "bashing" sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux qui a été difficile à gérer. Peu de personnes le savent, mais durant cette épreuve, lors de ma poussée de départ, j’étais un peu déséquilibrée, ce qui a provoqué une rupture des ligaments croisés et m’a fait tomber, et non l’inverse. Après cette chute, j’ai été la première à être honteuse, même si je savais que c’était lié à un défaut physique. On peut s’en vouloir à soi-même mais le fait que cet événement résonne autant sur les réseaux sociaux et dans les médias, c’était encore plus dur.

- Comment avez-vous réussi à gérer cette blessure et ce déchaînement médiatique et à aller de l’avant ?

Au moment des Jeux Olympiques d’hiver de Vancouver, j’étais déjà suivi par un préparateur mental, et ce depuis un an. Heureusement que j’avais entamé cette démarche personnelle, car la Fédération française de ski ne m’a pas beaucoup aidé du point de vue psychologique. Mes coachs, les membres de l’association et du groupe de l'Équipe de France de Ski Alpin étaient présents pour moi, mais il n’y avait pas de cellule psychologique dédiée à ce type de problème. On avait un suivi une ou deux fois par an durant les visites médicales classiques. La fédération ne voulait pas imposer un préparateur mental aux athlètes parce que tout le monde n’en a pas besoin au même moment. De plus, à cette époque, ces professionnels qui accompagnent les sportifs étaient considérés comme des gourous qui allaient nous tournebouler et nous faire agir n’importe comment.

Une fois le tsunami médiatique passé, je me suis retrouvée toute seule à devoir soigner mon genou et à faire face à mes doutes et mes craintes. Après le passage au centre de rééducation, je n’ai pas voulu tout de suite remonter dans ma station (Les Deux-Alpes, NDLR). J’ai préféré rester chez mes grands-parents pendant environ un mois. Je ne voulais croiser personne car je me sentais merdique.

Pour surmonter cette période difficile, il a fallu du temps et fixer de nouveaux objectifs sportifs, avec mon préparateur mental, en suivant un protocole à court, moyen et long terme, c’est-à-dire retourner sur les pistes, retrouver des sensations puis participer au championnat du monde de ski alpin en 2011 et 2013.

J’ai réussi à aller de l’avant après un voyage en Malaisie avec une copine. Au début de notre séjour, nous avons rencontré plusieurs Français sur place. On en venait rapidement à parler du ski. Certains me demandaient si je connaissais la skieuse qui était tombée à quelques mètres de la ligne de départ. Je ne parvenais pas à avouer que c’était moi. À chaque fois, ma copine devait répondre à ma place. Au bout de trois semaines, je me suis dit qu’il fallait que j’accepte cette chute, car cet événement faisait partie de mon histoire mais ne me définissait pas.

- Pourquoi la santé mentale est encore un sujet tabou dans le sport ?

Quand on est un sportif, on ne doit pas être faible ou montrer que l’on ne va pas bien. Si on le fait dans le cadre d’un sport collectif, on peut être mis sur le banc de touche pendant un certain temps. Dans le cadre d’un sport individuel, les souffrances psychologiques sont directement associées à nos performances personnelles. Dès que ça ne va pas dans la tête, il existe de grandes chances que ça n’aille pas au niveau des résultats. On peut donc être moins plébiscité par les dirigeants ou les sélectionneurs. Pour certains athlètes, cela peut être un bon coup de pied au cul. Le fait d’être mis à l’écart peut les motiver pour avoir de meilleurs résultats et les aider à avoir confiance en eux. Pour d’autres sportifs, qui sont déjà vulnérables psychologiquement, cela peut être complétement destructeur.

Les athlètes ont tendance à se forger une carapace. Mais un sportif n’est pas un superman. C’est un être humain, il peut aussi avoir des failles, des doutes. Durant sa carrière, il y a souvent plus de bas que de hauts. S’il n’est pas aidé, il ne réussira pas à s’en sortir et à se relever tout seul. Et en général, lors des compétitions, les athlètes sont loin de leur famille et ont dû mal à communiquer avec eux. Parfois, les membres des fédérations sur place ne sont pas prêts ou préparés à écouter leurs doléances. Si la personne fait preuve d’empathie, elle va réussir à se mettre à la place du sportif et à trouver des solutions. Mais si elle ne parvient pas à comprendre l’athlète, elle risque de ne pas avoir les bons mots pour l’aider.

Plusieurs facteurs peuvent provoquer du stress, un burn-out, un manque de confiance en soi ou de la nervosité. Parmi eux, on retrouve les moments de doute mais aussi une situation financière compliquée. Il faut savoir que tous les sportifs ne sont pas très bien payés. Dans certains cas, le fait de devoir gérer ses réseaux sociaux en plus des entraînements et des séances de musculation et de kinésithérapeute peut également entraîner de l’anxiété. Une reconversion ou des blessures peuvent aussi être stressantes pour les athlètes.

- Une enquête publiée en novembre 2021 et menée auprès d’athlètes français, majoritairement de haut niveau, a alerté sur la santé mentale des jeunes sportifs. Quelles solutions peuvent permettre de prendre en charge leurs souffrances psychologiques ?

Le CREDIR Sport, une entité qui veut soutenir les sportifs ayant des problèmes de santé mentale, veut essayer de mettre rapidement en place une hotline (une ligne téléphonique directe) pour recevoir les témoignages des athlètes et essayer de comprendre leurs besoins et leurs problématiques. On va également tenter de créer une équipe avec des sportifs et des membres du CREDIR (une ONG qui lutte contre l’épuisement des êtres humains).

Nous allons aussi mettre en place des formations pour les personnes travaillant dans les fédérations et les centres, tels que l’INSEP ou le STAPS, qui sont amenés à encadrer des sportifs de haut niveau. Le but est de leur ouvrir les yeux sur les problèmes psychologiques des athlètes et de les aider à avoir un discours empathique auprès des sportifs, et ce dès le plus jeune âge. Autre initiative : organiser des stages pour les athlètes afin qu’ils puissent échanger avec d’autres sportifs et se reconstruire.

- Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes sportifs ?

Sachez que cette période compliquée sera bientôt derrière vous. Surtout, n’hésitez pas à vous entourer des bonnes personnes. Les oreilles attentives ne sont pas forcément juste à côté de vous. Il existe des spécialistes qui peuvent vous apporter du soutien et du réconforts lorsque vous traversez des moments difficiles. Donc, ne restez pas tout seul.

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