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Entretien

Journée mondiale de l'obésité : «C'est en général dans la famille que commence le terrorisme pondéral»

A l'occasion de la journée mondiale, le médecin nutritionniste Arnaud Cocaul, spécialisé dans la prise en charge de l'obésité, nous éclaire sur les enjeux de cette pathologie. 

Journée mondiale de l'obésité : \ LightFieldStudios / istock.




L'ESSENTIEL
  • Le surpoids et l’obésité sont définis par l'OMS comme ''une accumulation anormale ou excessive de graisse qui présente un risque pour la santé''.

- Pourquoi docteur - Combien l’obésité concerne-t-elle de personnes aujourd’hui en France ?

Arnaud Cocaul - On est autour de 17% de personnes souffrant d’obésité aujourd'hui en France, et les projections pour 2030 sont de l’ordre de 25%. Mais attention, car il y a beaucoup de disparités. Le surpoids augmente, tout comme les obésités massives, en particulier chez les femmes. Pour le reste de la population, les chiffres stagnent. Le poids a aussi tendance à s'amplifier avec l’âge, et atteint en général son maximum vers 70 ans.

- Quelles sont les causes de l’obésité en France ?

Les causes de cette pathologie sont plurielles, et similaires dans tous les pays atteints par l’obésité : la sédentarité, les aliments ultra-tansformés, le grignotage, le stress, la pollution, la génétique, les régimes, les médicaments (antidépresseurs, neuroleptiques, cortisone…) et enfin le niveau socio-économique. Si vous êtes csp-, vous risquez plus de vous tourner vers des produits alimentaires moins équilibrés.

En résumé : l’obésité, c’est la rencontre de la génétique et de l’environnement. La part de ces deux influences varie en fonction des patients.

- Peut-on souffrir d’obésité et manger équilibré ?

Tout à fait. J’ai des patients qui mangent très correctement. Ils ont en général basculé dans l’obésité à force de faire des régimes, et leur corps défend leur nouveau poids. Dès qu’ils ouvrent la bouche, ils stockent.

- Quels risques pour la santé l’obésité peut-elle engendrer ?

Cela peut engendrer de multiples problèmes de santé : douleurs articulaires (chevilles, genoux, hanches), soucis cardiovasculaires (hypertension, cholestérol), apnée du sommeil, diabète, cancers (en particulier du tube digestif, de la prostate, du sein, de l’utérus et des ovaires), dépression ou encore une diminution de l’immunité.

Mais attention : on peut être obèse et en bonne santé. Il y a des organismes métaboliquement sains parmi les personnes souffrant d’obésité, comme par exemple le sportif Teddy Riner. Il est obèse, mais il a une masse grasse extrêmement limitée. Ce qui pèse sur la balance, ce sont ses muscles. A l’inverse, il existe des personnes de poids normal, mais qui sont métaboliquement obèses. Elles ont, dans ce cas, de la graisse profonde dans les viscères.

- Dans quels cas peut-on recommander une chirurgie bariatrique ?

Les recommandations officielles datent de 1998 : si vous avez un indice de masse corporelle au-delà de 40, on peut discuter d’une chirurgie de l’obésité. Mais il faut que l’obésité soit installée et qu’on ait fait la preuve que rien d’autre ne fonctionne. La chirurgie de l’obésité, c’est une chirurgie de l’échec.

On peut aussi proposer une chirurgie de l’obésité pour un indice de masse corporel au-delà de 35, mais à condition d’avoir des complications associées au surpoids, comme par exemple du diabète, de l’hypertension ou de l’apnée du sommeil.

- Quels peuvent être les bénéfices d’une telle intervention ? Et les inconvénients ?

Grâce à une chirurgie de l’obésité, on peut complètement guérir des pathologies, comme le diabète par exemple, ou éviter d’autres problèmes de santé, tels que la pause d’une prothèse de genou. Ces interventions peuvent aussi diminuer considérablement les risques cardiovasculaires, et améliorer l’estime de soi. En retrouvant confiance en elles, certaines personnes atteintes d’obésité décrochent un nouveau boulot, stoppent les arrêts de travail et les antidépresseurs, etc… Globalement, la chirurgie de l’obésité permet, quand elle est réussie, une amélioration de la qualité de vie.

A l’inverse, il y a des inconvénients à ce type d’intervention. Il y a d’abord des complications post opératoires potentielles (phlébite, embolie pulmonaire...), même si on est correctement suivi (ce qui n’est pas toujours le cas, beaucoup de patients se perdent dans la nature après l’opération). Ensuite, un malade opéré peut reprendre du poids. Je suis par exemple une patiente multi-opérée (anneau, sleeve, bypass) qui reste en obésité massive, à cause d’une mutation génétique.

- Les personnes obèses sont-elles bien prises en charge en France ?

Il y a des axes d’amélioration. D’abord, il y a encore trop de caricatures et de médecins qui n’aiment pas les obèses. Il faudrait aussi des psychiatres plus entraînés à l’obésité, et davantage de consultations longues (ce que ne favorise évidemment pas le système du paiement à l’acte).

- La covid-19 est-elle plus dure à vivre pour les personnes obèses que pour les autres ?

Oui. Il y a des patients qui ont été terrorisés par la Covid-19, parce que les autorités sanitaires et le président de la République leur ont dit qu’ils étaient à risque. Depuis le premier confinement, j’ai des malades qui ont pris 25 kilos : c’est dramatique. Ils sont plus anxieux, ne sortent plus, ne font plus d’activité physique, ne respectent plus les horaires de repas et compensent sur la nourriture, en développant pour certains des troubles du comportement alimentaire. Le télétravail n’arrange pas les choses.

- Vos patients souffrent-ils de grossophobie ?

Oui, régulièrement, et ce même dans leur propre famille. En général, c’est là que commence le terrorisme pondéral. La grossophobie peut aussi avoir lieu sur les réseaux sociaux.

- Que pensez-vous de l’émission "Opération renaissance", présentée par Karine Le Marchand sur M6 ?

Je comprends que cette émission ait choquée les personnes obèses. Déjà, Karine le Marchand est une ancienne anorexique. Comme une ancienne anorexique peut-elle présenter correctement une émission sur les personnes souffrant d'obésité ? C’est impossible, car elle est à leurs antipodes. Et la manière qu’elle a de s’allonger sur le divan, avec ses jambes fines et galbées, face à des femmes souffrant d’obésité, c’est une forme de grossophobie.

Bref, le concept se veut empathique et didactique, mais il n’est que voyeuriste. Pourtant, les intervenants de cette émission sont sérieux et respectables : c’est la mise en scène qui ne va pas. 

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