• CONTACT

QUESTION D'ACTU

Ethique médicale

Pandémie : comment adapter la recherche clinique à l'urgence sanitaire ?

La recherche clinique est indispensable au développement d'un nouveau médicament et soumise à un ensemble de règles très spécifiques. Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, le processus a été accéléré pour s'adapter à l'urgence de la situation, mais parfois au détriment de ces règles et des valeurs éthiques.

Pandémie : comment adapter la recherche clinique à l'urgence sanitaire ? gorodenkoff/istock




L'ESSENTIEL
  • En situation de crise sanitaire, la recherche clinique est accélérée pour répondre à l'urgence.
  • Mais ces derniers mois, la situation a donné lieu à une multiplications d'études polémiques comme celles du Professeur Didier Raoult et le débat scientifique s'est étalé sur la place publique.
  • Il est indispensable de restaurer la confiance entre le grand public et la communauté scientifique.

La recherche clinique est une étape clé du développement d’un médicament. En France, d’après le LEEM (les entreprises du médicament), 741 essais cliniques ont été autorisés par l’ANSM (Agence nationale de sûreté du médicament). Toutefois, cette année, au 10 avril, soit quelques semaines seulement après l’arrivée de la Covid-19 sur notre territoire, l’Agence avait validé le lancement de 35 essais cliniques rien que sur cette maladie. Et si d’ordinaire, la procédure pour publier les résultats d’une étude est extrêmement rigoureuse et contraignante, en pleine urgence sanitaire, de nombreuses informations ont été communiquées au grand public en passant outre les normes. D’où, entre autres, la fameuse polémique autour des études du professeur Raoult sur l’hydroxycholoroquine.

En temps normal, en France, après des phases de recherche en laboratoire sur des animaux, appelées phases pré-cliniques, le promoteur de l’essai dépose son dossier auprès d’un comité de protection des personnes (CPP), qui analyse l’argumentaire scientifique et la conformité aux règles éthiques, et de l’ANSM. Il faut en moyenne sept mois avant d’obtenir les autorisations. 

Car la sécurité et le bien-être du patient sont la priorité ultime. Aussi, toute personne susceptible de s’engager dans un protocole d’essai clinique doit signer un document dit « de consentement éclairé ». Ce dernier garantit qu’elle a reçu « toutes les informations concernant les bénéfices attendus de la recherche, les contraintes et les risques prévisibles ». Elle a également le droit de refuser de participer et de retirer son consentement à tout moment sans risque de préjudice, note le LEEM sur son site, expliquant contribuer à « l’encadrement et à la sécurité des essais cliniques sur le territoire français ». 

Et si beaucoup d’experts critiquent régulièrement la lenteur spécifiquement française de la mise en place des essais, pour Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay, président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay, elle est indispensable. Il vient de publier le livre Pandémie 2020. Éthique, société, politique (Éditions du Cerf).

« Des principes qui ne se discutent pas »

« Une recherche hasardeuse aboutit à des résultats contestables et peut avoir des conséquences préjudiciables sur des personnes vulnérables. N’oublions pas que la référence supérieure de l’éthique biomédicale est le code de Nuremberg, rédigé en 1947 à la suite de la Shoah. De prétendus scientifiques avaient mené des expérimentations sur les personnes réduites à la condition de cobayes dans les camps de concentration. Aujourd’hui, les textes de bioéthique affirment que l’intérêt de la personne prime sur celui de la recherche et de la société. Ces principes ne se discutent pas, sans quoi des dérives sont possibles », tranche l’expert.

Et s’il existe bien sûr des pays moins regardants que le notre, leur but est surtout d’enchaîner les publications et de lever des fonds. "Les règles en vigueur en France n’empêchent pas de bénéficier d’une production scientifique de haut niveau. Ce qui fait souvent défaut, ce sont les financements publics à hauteur des enjeux", poursuit Emmanuel Hirsch. 

Une fois l’essai clinique lancé, une première phase permet de tester la molécule sur l’homme, d’observer son évolution dans l’organisme et d’évaluer sa toxicité. D’après le LEEM, 70% des molécules expérimentées franchissent cette phase pour intégrer la prochaine. Cette dernière, qui peut durer de quelques mois à deux ans, est menée sur de petits groupes de malades afin de tester l’efficacité du produit et de déterminer « sa posologie optimale ».

La phase III permet quant à elle d’évaluer l’intérêt thérapeutique du médicament sur plusieurs centaines de patients, en fonction de l’occurrence de la maladie. Ces malades sont généralement répartis en deux groupes pour comparer l’efficacité du candidat médicament à un traitement de référence, s’il en existe un, ou à un placebo (substance neutre). Après quoi, en fonction des résultats, les autorités sanitaires délivrent ou pas une autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament testé (là encore, le délai diffère largement en fonction des pays). Intervient alors la phase IV, qui suit l’utilisation du traitement à long terme, dans des conditions réelles d’utilisation. L’objectif est « d’évaluer la tolérance à grande échelle » : de détecter des effets indésirables rares, des complications tardives ou encore des biais de prescription ou un mauvais usage.

« Il faut 15 ans pour développer une molécule de sa phase préclinique à l’obtention de l’AMM. Les étapes de validation d’une hypothèse scientifique jusqu’à l’expérimentation sont complexes, financièrement coûteuse et risquées car peu de molécules franchissent les seuils de sélection », explique Emmanuel Hirsch. Toutefois, bien évidemment, dans un contexte de crise sanitaire tel qu’à l’heure actuelle, la recherche sait s’adapter.

En temps de crise, la recherche s’adapte  

En situation de pandémie, la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme  « intègre les circonstances où l’intérêt supérieur de la recherche justifierait que l’on déroge, dans un cadre prescrit pour un temps limité, aux principes édictés sans pour autant renoncer à des règles protectrices, posant notamment des critères de justification et des modalités de contrôle », écrivait récemment l’expert dans une tribune parue le 10 septembre dans The Conversation.

« Comme ce fut le cas dans les années sida ou en 2006 avec la menace pandémique du H1N1, la mobilisation de la recherche au plan international permet de développer des stratégies plus réactives, parfois sous l’égide de l’OMS. Lorsqu’il y a urgence, la possibilité de déroger à certaines règles peut être justifiée. Cela n’exonère pas les promoteurs et les investigateurs de soumettre leurs protocoles au CPP qui, en pleine crise, ont su les instruire sans perte de temps. Toutefois, la précipitation ne permet pas toujours une analyse suffisamment étayée des dossiers. Il conviendrait de procéder à un retour d’expériences pour améliorer les pratiques en situation de crise sanitaire majeure » explique-t-il.

« Comme cela est de pratique courante, depuis le début de la pandémie, les industriels du médicament ont criblé des molécules déjà efficaces pour d’autres pathologies afin d’évaluer de quelle manière elles auraient une efficacité pour les malades de la Covid-19 », poursuit Emmanuel Hirsch. « Des polémiques néfastes à la relation de confiance entre la société et ses chercheurs ont dissimulé des avancées auxquelles nous devrions pourtant rendre hommage. En réanimation, des équipes ont développé des stratégies thérapeutiques en associant différentes molécules qui ont permis de lutter efficacement et de sauver des malades. On distingue parfois la recherche fondamentale de la recherche appliquée. Ici, soit les médecins attendaient une hypothétique molécule, soit ils mettaient en œuvre, parfois de manière compassionnelle, un traitement en faveur duquel les arguments scientifiques justifiaient un risque proportionné. S’agissant de la recherche sur le vaccin, l’approche est plus complexe ».

Concernant celui contre la Covid-19, le scientifique a d’ailleurs quelques inquiétudes quant aux pays qui veulent à tout prix être les premiers dans la course : « Quand les essais sont menés sur des militaires ou des prisonniers, quelle est leur liberté à refuser ? Est-on certain que l’urgence n’incite pas à renoncer à des règles de prudence ? ». 

QUID de la polémique Raoult 

En France, une des approches empiriques dont on a le plus parlé ces derniers mois est bien sûr celle du Pr Didier Raoult, au cœur de certaines des polémiques évoquées ci-dessus. 

Pour rappel des faits, mi-mars, Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, dévoile une première étude clandestine menée sur 24 patients testés positifs à la Covid-19. Il y annonce la guérison des trois-quarts des malades au bout de six jours, grâce à l’administration de chloroquine, médicament utilisé pour traiter le paludisme.  

Puis, fin mars, il révèle sur Twitter, son moyen de communication favori, « la démonstration in vitro de la synergie hydroxychloroquine (dérivé de la chloroquine) /azithromycine (antibiotique pulmonaire) pour contrer la réplication du SARS-CoV-2 » grâce à essai mené sur 80 patients, suivis pendant 6 à 10 jours. Pour le chercheur, les résultats positifs de son étude suffisent à justifier de prescrire aux patients ce traitement dès les premiers symptômes de la Covid-19.   

Dans sa troisième étude, portant cette fois sur plus de 1000 patients, il affirme qu’après 10 jours, plus de neuf sur dix n’avaient plus de charge virale après avoir été traités par bithérapie. Si ses partisans crient Victoire à l’unisson, d’autres scientifiques appellent à la prudence. En effet, ce chiffre, est comparable à celui observé quand la maladie évolue de façon naturelle, rappellent-ils. D’autant plus que la plupart des patients suivis souffraient d’une forme bénigne de la maladie. Autre point de réserve : l’absence de groupe témoin, qui empêche de démontrer l’efficacité de l’HCQ.   

S’en suivent plusieurs études démontrant l’inefficacité de la chloroquine et surtout, celle, parue fin mai dans la très sérieuse revue scientifique The Lancet, où les scientifiques associent ce traitement à un risque de décès accru et d’arythmie cardiaque. Cette conclusion conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à suspendre toutes les études menées avec de la chloroquine. Mais dans la foulée, une centaine de scientifiques publient une lettre ouverte où ils remettent en cause la méthodologie et les données utilisées dans cette étude. Le 2 juin, The Lancet reconnaît finalement « d’importants doutes » avant de retirer la publication.

Ainsi, « si en situation de crise sanitaire un organe de renommée internationale déroge, lui aussi, aux règles intangibles de contrôle des données, de validation des résultats dans le cadre d’une lecture pertinente et systématique des articles soumis, c’est aussi la communauté scientifique dans son ensemble qui en subit le préjudice. Que des publications prédatrices préoccupées avant tout de faire du profit disqualifient l’exigence d’une recherche intègre et probante est en soi déjà regrettable. Mais que The Lancet donne à croire qu’il peut être abusé par des soumissions d’articles détournés de l’analyse des relecteurs est dramatique », déplore Emmanuel Hirsch.

Début septembre, Le Figaro annonce que la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf) a déposé une plainte contre Raout devant le conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. D’après la Spilf, le médecin aurait enfreint neuf articles du code de déontologie de la profession tels que la promotion d’un traitement dont l’efficacité n’a pas été démontrée, la diffusion de fausses informations mais aussi le manquement au devoir de la confraternité ou encore la réalisation d’essais cliniques à la limite de la légalité. 

"Rétablir un climat de confiance entre le grand public et les scientifiques" 

Dans un avis rendu public le 2 avril, le Conseil scientifique Covid-19 institué en mars par le ministre de la Santé Olivier Véran, affirmait pourtant « que dans le contexte épidémique les chercheurs et toutes les parties prenantes de la recherche sont tenus de respecter les réglementations françaises et internationales encadrant la recherche publique et privée, en particulier dans le domaine des essais cliniques. Il sera attendu, après la crise, que ces pratiques soient évaluées et elles seront jugées à l’aulne des réglementations préexistantes à la pandémie ».

« Il n’est pas habituel de débattre des hypothèses scientifiques sur des plateaux de télévision, dans un contexte de médiatisation sans précédent d’une crise sanitaire d’ampleur. Nous ne disposons pas d’une culture nous permettant d’affronter socialement une pandémie. Les chercheurs et les médecins se sont trouvés en première ligne parce qu’ils étaient sur le front de la lutte contre une menace planétaire. C’est au jour le jour qu’ils ont dû se prononcer alors que les données probantes manquaient et que la connaissance s’édifie sur le temps avec des recoupements, des échanges, des validations. Le processus de la recherche a ses exigences parfois peu compatibles avec la pression politique et les attentes d’une société apeurée » déplore Emmanuel Hirsch.

Rappelons par ailleurs que, pour s’assurer d’une meilleure transparence et coordination entre les pays européens, l’Agence européenne du médicament (EMA) planifiait, même avant la crise, de mettre en place dans le courant de l’année 2020, un portail unique « par lequel transiteront les demandes d’autorisation d’essais envoyées par les promoteurs, ainsi que tous les échanges qui s’ensuivront entre le promoteur, les autorités administratives des Etats participant à un essai, ainsi que les comités d’éthique de ces pays », explique le LEEM sur son site.

"Espérons que cela incite les scientifiques à considérer comme leur devoir de créer de nouvelles conditions de relation avec la société en prenant rapidement des initiatives », propose Emmanuel Hirsch. Et de conclure : « Il y a urgence à restaurer une relation confiante qui tient pour beaucoup à la qualité de l’information et à l’exigence d’une pédagogie de la responsabilité partagées ».

Sujet réalisé à partir du dossier du LEEM "100 questions sur le médicament"

Retrouvez ci-dessous la fiche sur le thème " Quel est le rôle de la recherche clinique ?"

https://www.leem.org/100-questions/quel-est-le-role-de-la-recherche-clinique

Vous aimez cet article ? Abonnez-vous à la newsletter !

EN DIRECT

LES MALADIES

J'AI MAL

Bras et mains Bras et mains Tête et cou Torse et haut du dos Jambes et pied

SYMPTÔMES