La myopie est un trouble de la vue qui se traduit par une vision nette de près mais floue de loin. Elle est principalement provoquée par un allongement excessif du globe oculaire qui entraîne une focalisation des images en avant de la rétine. Ce trouble de la réfraction est le plus répandu dans le monde et ne cesse de progresser chaque année. 15 % des Français étaient myopes en 1950 contre 40 % en 2020 et, d’après les projections, 60 % le seront en 2050, nous rappellent les experts dans la campagne "Contre la myopie, j'agis !".
Pourquoi Docteur : En tant que parent d’un jeune enfant, que peut-on faire pour le protéger de la myopie, sachant que 90 % des cas sont dus à des facteurs environnementaux ?
Dr Vincent Dédès, ophtalmologue et Président du SNOF : Cela fait très longtemps que c’est démontré : les activités dans un environnement sans lumière du jour ou une activité de très près, favorisent l’apparition de la myopie. Donc pour la prévenir, il faut limiter les écrans et privilégier l’exposition à la lumière du jour, en faisant des activités extérieures avec une vision éloignée, comme l’activité sportive par exemple.
Prévenir la myopie chez l'enfant en privilégiant les activités à l'extérieur
Pouvez-vous nous donner un ordre d’idée concernant la limitation des écrans et la durée de temps à passer en extérieur ?
Pour les écrans, il y a aujourd’hui un temps à ne pas dépasser mais qui est plutôt lié au développement psychomoteur de l’enfant. Les recommandations vis-à-vis du cerveau [½ heure d’écran par jour à 3 ans, 1 heure à 6 ans, NDLR] sont plus strictes (et justifiées !) que ce qu’on a besoin pour l’œil. Il faut plutôt voir les choses à l’inverse, en accentuant ce qu’il faut privilégier, à savoir l’activité à l’extérieur. Au mieux, il faudrait que l’enfant puisse faire une activité une à deux heures par jour en extérieur. Dans certains pays asiatiques, où les cas de myopie explosent, les horaires de classe ont été modifiés pour permettre aux enfants de faire du sport en extérieur l’après-midi, à la lumière du jour.
Quand on parle de limitation des écrans, c’est aussi la télévision ?
En fait, ce n’est pas tant l’écran qui pose problème mais la vision de près. Optiquement, la vision de près c’est ce qu’on appelle la vision à moins de deux mètres. Donc pour la télévision cela dépend de la taille du salon… Mais les jeunes enfants ont tendance à avoir le nez collé à l’écran donc il faut rester vigilant.
Myopie : "plus on va agir tôt, plus on sera efficace"
Pourquoi faut-il dépister le plus tôt possible la myopie chez un enfant ?
En fait, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le système visuel à la naissance est immature, c’est-à-dire qu’il n’a pas fini de se développer. Et si pour une raison X ou Y, il ne peut pas se développer correctement, cela va être un frein à son acuité visuelle. Par ailleurs, plus on va agir tôt sur des anomalies qui peuvent freiner ce développement, plus on sera efficace. Cela est valable pour la myopie, pour l’hypermétropie ou pour le strabisme, et c’est d’autant plus important lorsqu’il y a des antécédents familiaux. C’est en cela que le dépistage des enfants est véritablement un enjeu de santé publique très important, parce qu'après l'âge de 8-10 ans, quand on l’a raté, c’est trop tard et c’est une grande perte de chance pour l’enfant.
Par sécurité, et même si l’on ne se rend compte de rien, il faudrait emmener son enfant consulter un ophtalmologue à quel rythme ?
Il faut bien avoir en tête qu’un enfant, s’il a un œil qui voit bien et l’autre qui ne voit pas, il ne va pas s’en rendre compte et ne sera pas gêné car le cerveau est bien fait. Donc si vous avez un œil qui ne fonctionne pas bien et qu’on ne fait pas l’effort de vérifier, on peut se retrouver face à un enfant de 10 ans pour qui on ne pourra pas rattraper le retard.
Idéalement, on aimerait un dépistage un peu avant deux ans, quatre ans et à six ans pour l’entrée au CP. Pendant un moment cela se faisait dans les écoles mais aujourd’hui, le dépistage scolaire est un peu un parent pauvre… Cependant, il y a plusieurs autres possibilités, notamment avec les médecins généralistes et les pédiatres qui peuvent faire un premier contrôle dans le cadre du développement, et au moindre doute, ils peuvent envoyer l’enfant consulter. Les orthoptistes, même s’ils ne sont pas médecins, font également un très bon dépistage de l’enfant. Normalement, on les consulte sur prescription mais c’est maintenant possible de les voir directement pour le dépistage des enfants en bas âge. S’ils détectent une anomalie, ils envoient ensuite l’enfant vers un ophtalmologue.
"Le problème de la myopie, c’est quand on a une myopie forte"
Pourquoi parle-t-on de “myopie forte”, et quels sont les risques ?
Le problème de la myopie, c’est quand on a une myopie forte. Si à 20 ans vous êtes à -2 ce n’est pas très grave en soi parce que cela ne bougera plus beaucoup. Ce sont des petites myopies qui arrivent vers la fin de l’adolescence, au début de l’âge adulte… Cela peut même devenir un avantage à 45 ans. La myopie forte, elle, peut apparaître avant l’âge de 10 ans. Elle pose problème parce qu’un œil myope, c’est un œil qui est un petit peu trop grand. Donc, chez un enfant qui démarre très tôt une myopie, comme l’œil va continuer de grandir avec la croissance, il y a de grandes chances qu’une myopie importante se développe. Et dans le cadre de la myopie forte qu’on appelle nous, ophtalmologues, les myopies maladies (mais qui sont finalement un petit pourcentage des myopes), on a parfois des pathologies graves derrière, avec des décollements de rétine, des atteintes de la maculaire, des glaucomes, etc. Donc typiquement, si on a un enfant de 6 ans qui démarre une myopie, il va falloir utiliser toutes les armes qu’on a à notre disposition pour essayer de freiner son évolution.
Et justement, quels sont les traitements possibles pour freiner une myopie déjà bien présente chez un jeune enfant ?
Le premier traitement, et le plus simple, ce sont les activités en extérieur. Ensuite, ce qui est plus fréquemment utilisé aujourd’hui, ce sont les verres freinateurs : ils permettent de freiner l’évolution de la croissance. Le rôle de l’opticien ici est important car on est sur des verres techniques et un verre mal centré va beaucoup moins bien fonctionner. Après on a des lentilles, qui sont soit des lentilles en port diurne, c’est-à-dire des lentilles classiques qu’on met le matin et qu’on enlève le soir ; soit en port nocturne (l’orthokératologie), donc à l’inverse qu’on met la nuit et qu’on enlève le matin. La dernière chose à notre disposition, ce sont les collyres -qu’on a actuellement du mal à avoir en France car les dossiers traînent un peu. Ils fonctionnent plutôt bien et en plus, ils sont plus simples au quotidien car ce n’est qu’une goutte à mettre dans l’œil de l’enfant. À noter également que l’on peut très bien combiner plusieurs traitements, en mettant des lunettes et des collyres, par exemple.