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QUESTION D'ACTU

L’interview du week-end

«Nous sommes des écosystèmes ambulants, autant constitués de cellules humaines que non humaines»

Cellule originelle, "réseau social cellulaire", interdépendance de tous les micro-organismes, recherche cellulaire en vue de nouveaux traitements... Plongée au cœur des secrets de nos cellules avec le microbiologiste Christian Sardet, auteur et spécialiste du sujet.

\ Rost-9D / istock




Christian Sardet est biologiste et directeur de recherche émérite CNRS au laboratoire BioDev de l'institut de la Mer de Villefranche-sur-mer (LBDV). Il est l’auteur de l’ouvrage illustré Les Cellules – Une histoire de la vie (2023) et de Plancton - Aux origines du vivant (2013), aux éditions Ulmer.

Pourquoi Docteur : Tout ce qui vit sur Terre est constitué de cellules ayant toutes pour origine une même cellule ancestrale, appelée LUCA (Last Universal Common Ancestor). Que sait-on d’elle ?

Christian Sardet : La notion de cellule originelle date d’une trentaine d’années. Pour les biologistes, LUCA est une sorte de Big Bang. Quand on remonte l’évolution des gènes avec des méthodes informatiques de séquençage, on arrive à la conclusion qu’il n’y a actuellement qu’une seule sorte de vie sur la planète, qu’un seul code génétique. C’est assez vertigineux à concevoir. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu plusieurs types de cellules différents à l'origine, mais seule LUCA, apparue il y a un peu moins de quatre milliards d’années, a réussi à avoir une descendance qui est parvenue jusqu’à nous. Quant à la question de l'origine de LUCA, c’est une des grandes énigmes de l’existence. Il est tout à fait possible qu'elle soit venue jusqu’à nous de l’univers, de l’espace. Nous ne pouvons, pour l’instant, qu’émettre des hypothèses à la croisée des domaines d’expertise (astronomie, chimie, biologie, philosophie...).

Comment LUCA a-t-elle pu évoluer pour former des cellules originelles, puis tous les organismes actuels ?

Il faut bien réaliser qu’on parle de centaines de millions d’années : le temps a permis cette évolution lente et graduelle, par étapes. Nous sommes passés d’organismes microscopiques comme des bactéries et des archées à des organismes plus sophistiqués comme des protistes, c’est-à-dire des eucaryotes, ces cellules à noyau qui constituent tous les animaux, les plantes, les champignons et les algues. Et, à côté de cette complexification des organismes eux-mêmes, il y a également eu une imbrication des différentes formes de vie les unes dans les autres.

C’est l’intrication de toutes les formes de vie qui fait le vivant. Aucune cellule ne vit seule, chacune fait partie d’un écosystème de cellules qui communiquent.

Pourquoi une telle évolution, et pas une autre ? Etait-ce tout simplement la plus viable ?

Il y en a eu d’autres ! L’arbre de vie est fait de ruptures : des branches se sont quasiment éteintes, comme celle des dinosaures, mais certains dinosaures sont passés au travers de l’extinction et ont donné naissance aux oiseaux. C’est typique du vivant, une succession d’embranchements, avec certaines espèces qui s’éteignent et d’autres qui en profitent pour se développer. Toute la vie est basée sur ces adaptations, ces opportunités, cette propension à trouver la bonne niche écologique pour pouvoir croître et se diversifier.

Vous écrivez notamment que "la vie est un réseau social de cellules"... C'est-à-dire ?

C’est l’intrication de toutes les formes de vie qui fait le vivant : aucune cellule ne vit seule, chacune fait partie d’un écosystème de cellules qui communiquent. Dans mon livre, j’introduis la notion de "holobionte", qui désigne une entité qui vit en symbiose avec les organismes et micro-organismes qu'elle héberge. Cela symbolise bien la complexité des êtres vivants, qui ne sont pas faits d’un seul bloc. Nous-mêmes sommes des holobiontes faits de multiples biontes. Nous sommes des écosystèmes ambulants, autant constitués de cellules humaines que de cellules non humaines. L’écosystème humain contient même beaucoup plus de gènes de microbes que de gènes humains : quand on se déplace, on déplace une vingtaine de milliers de gènes humains et des millions de gènes de microbes... J'espère que la notion de "holobionte" entrera dans le vocabulaire courant, comme l'a fait le microbiote.

En quoi le microbiote intestinal, dont le bon fonctionnement détermine notre bonne santé, est-il un exemple parlant de l’influence des cellules non humaines sur notre organisme ?

Toutes les bactéries, mais aussi les archées, les levures... de notre microbiote produisent une quantité faramineuse de molécules de toutes sortes qui pénètrent dans notre système sanguin et influent sur nos organes. Cela fait partie de notre réseau social cellulaire. Or on commence doucement à soupçonner que des états de dépression, des symptômes de neurodégénérescence, des pathologies peuvent être induits par un microbiote défaillant.

On peut aujourd'hui manipuler les cellules, les téléguider, les vider de leur contenu et le remplacer par un autre... Ce qui ouvre beaucoup de perspectives thérapeutiques.

Vous avez fait du plancton le sujet d’une expédition, Tara Oceans, d’une série de vidéos baptisées Chroniques du plancton, ainsi que d’un ouvrage paru en 2013. Pourquoi un tel intérêt pour le plancton ?

Le plancton est le plus grand écosystème de la planète. Dans l’océan, les organismes visibles représentent à peine 5% de la biomasse, le reste étant ces organismes unicellulaires comme des micro-algues, des bactéries, etc. Toutes les formes de vie, hormis les plantes terrestres, font partie du plancton à un moment ou un autre. Un poisson, par exemple, va en faire partie en tant qu’embryon, larve, puis petit poisson qui se déplace avec les courants (d’où son nom, le grec planktos signifiant dérivé), avant de devenir un poisson plus "autonome". Le plancton est un écosystème qui était là aux origines, lorsque la vie s'est développée dans l’océan. Et, rappelons-le, qui est indispensable à la survie de l’Homme : on lui doit une bonne partie de l’oxygène fabriqué sur Terre, et la vie des océans est à la base de la chaîne alimentaire.

Que peut nous apprendre cette interdépendance des cellules, cette nouvelle approche de la complexité de la vie ? Est-ce une réalité qui, nous grands organismes, nous oblige ?

Cela pourrait aller dans le sens d’une plus grande empathie envers toutes les formes de vie, car on comprend de plus en plus que nous ne sommes pas une entité séparée des autres. En tout cas, ce serait une bonne évolution d’un point de vue philosophique, anthropologique.

Qu’ont permis les nouvelles technologies en matière de connaissance des cellules ?

Ce qui a vraiment révolutionné la biologie des cellules ces dernières décennies, c’est la combinaison des techniques d’imagerie, avec les microscopes, et des analyses génétiques, qui permettent de remonter dans le temps, en observant l’évolution des protéines et des acides nucléiques. Sans oublier les connaissances autour de la physiologie et du métabolisme, c’est-à-dire de tous ces flux de matières, de molécules, d’énergie qui permettent à la vie d’exister.

En quoi la recherche cellulaire peut-elle aider à traiter les maladies ?

En quelques décennies, nous avons fait d’immenses progrès dans le traitement des pathologies en identifiant les gènes et les molécules impliqués. La pandémie de Covid-19 l’a bien illustré : on a mis deux semaines à déterminer la séquence du génome du virus, alors qu’on avait mis deux ans pour celle du VIH. Il existe également de nombreuses possibilités en matière de manipulation cellulaire en laboratoire : on peut aujourd’hui téléguider les cellules, les vider de leur contenu et le remplacer par un autre... Ce qui ouvre beaucoup de perspectives thérapeutiques, notamment pour corriger des défauts biologiques observés dans certaines pathologies (par exemple, au niveau du système reproductif).

On peut imaginer un potentiel avenir où l’on pourrait contrôler et altérer le raccourcissement des chromosomes, un processus lié au vieillissement cellulaire.

Peut-on envisager un jour qu’on puisse "hacker" totalement les cellules, et ainsi contrôler la reproduction par exemple, voire enrayer le vieillissement ?

Le vieillissement cellulaire est un phénomène de plus en plus étudié. Et on peut évidemment imaginer un avenir où l’on pourrait contrôler et altérer le raccourcissement des chromosomes, un processus lié au vieillissement. Le problème, c’est qu'en altérant ce type de processus naturel, il faut s'attendre à voir survenir d’autres dysfonctionnements, comme la prolifération des cellules cancéreuses. Il ne faut surtout pas s'imaginer qu’en supprimant ou en modifiant un paramètre essentiel, il n’y aura que des effets bénéfiques. Le vivant est très complexe, attention à ne pas trop jouer aux apprentis sorciers !

Vous parlez des cellules cancéreuses. Les cellules font la vie, mais il arrive donc aussi que des cellules se battent contre notre organisme ?

On peut dire, de façon un peu caricaturale, que les cellules cancéreuses font abstraction des règles qui, dans un organisme multicellulaire comme le nôtre, font que les cellules doivent se conformer à leur environnement, leur tissu d’origine... et ne surtout pas s’en échapper, afin que cet environnement reste viable. Un cancer, entre autres, ce sont des cellules qui s’échappent de leurs contraintes, qui redeviennent en quelque sorte unicellulaires et qui n’en font qu’à leur tête.

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