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Psychologie

Rêverie compulsive : quand un phénomène positif se mue en trouble pathologique

Une psychologue explique en quoi le "rêve éveillé", une capacité bénéfique pour lutter contre l'ennui, peut s'avérer parfois excessive et devenir un trouble pathologique, que l'on appelle la "rêverie compulsive". 

Rêverie compulsive : quand un phénomène positif se mue en trouble pathologique g-stockstudio/iStock




L'ESSENTIEL
  • Selon les estimations de Giulia Poerio, 2,5 % des adultes sont confrontés à des rêveries qui peuvent être considérées comme excessives.
  • Il est important de noter que ces rêveries éveillées et autres activités mentales immersives ne sont pas problématiques par définition.
  • Ce qui rend la rêverie "compulsive", c’est quand elle devient difficile à contrôler, lorsque le temps qui lui est consacré devient si important que cela commence à empiéter sur celui de la vie réelle, en interférant avec des relations et des objectifs concrets de la vie.

Le "rêve éveillé" est ce que les chercheurs définissent comme les pensées qui ne sont pas liées à ce que vous faites en temps réel. Elles occupent une bonne partie de votre vie éveillée – en moyenne environ 30 % de votre temps. La chercheuse en psychologie à l’université de Sussex, Giulia Poerio, revient sur ce concept dans un article pour The Conversation.

Les bienfaits du rêve éveillé

Selon elle, le rêve éveillé, ou rêve diurne, “fait partie de notre expérience consciente ordinaire et quotidienne. Il pourrait même s’agir d’un mode de fonctionnement par défaut de notre cerveau auquel nous revenons, en particulier lorsque nous effectuons des tâches qui ne demandent pas beaucoup d’énergie cérébrale, de réflexion – simples, automatiques comme étendre le linge, etc.” Cette rêverie du quotidien peut être un excellent moyen de gérer l’ennui, être source de plaisir, et peut également stimuler la créativité, ainsi que nous aider à résoudre des problèmes, planifier ou remédier à la solitude, selon certaines études.

Cependant, cette capacité bénéfique peut s’avérer excessive et devenir un trouble potentiel, qu’on appelle “rêverie compulsive” ou "rêverie inadaptée" (maladaptive daydreaming, en anglais), bien que ce trouble reste discuté par les chercheurs. “Les personnes concernées connaissent des épisodes de rêveries si nombreux et envahissants qu’ils interfèrent avec leur vie quotidienne. Ils altèrent la capacité d’attention (par exemple lors de la lecture d’un texte), influent sur la mémoire, etc”, explique Giulia Poerio.

Pourquoi certaines rêveries sont considérées comme compulsives ?

Contrairement aux rêveries typiques qui peuvent être fugaces (quelques secondes), les rêveurs compulsifs peuvent passer plusieurs heures d’affilée dans une seule rêverie. Selon une étude, ils passeraient en moyenne près de la moitié de leurs heures d’éveil immergés dans des mondes imaginaires qu’ils ont progressivement construits. “Ces mondes inventés sont souvent riches et complexes, avec des intrigues et des scénarios à plusieurs niveaux qui évoluent sur des années. Ces mondes alternatifs sont vivants et peuvent être gratifiants pour celui qui les développe… Mais le besoin de poursuivre ce fantasme peut devenir compulsif, au risque possible d’entraîner une dépendance, ajoute la chercheuse. Dans ce cas, quand l’envie de revenir à cet univers virtuel n’est pas satisfaite, elle se mue en frustration.

“Le fait de donner autant d’importance (voire dans certains cas une extrême priorité) à des réalités alternatives et imaginaires au détriment des besoins physiques et sociaux peut créer des problèmes au travail, à l’école et dans le maintien de relations étroites. De nombreuses personnes souffrant de rêverie inadaptée déclarent ainsi éprouver une détresse psychologique, des difficultés à dormir et un sentiment de honte”, poursuit Giulia Poerio.

Rêverie compulsive : quelles causes à ce phénomène ?

Des chercheurs soupçonnent que les personnes confrontées à ces rêves éveillés compulsifs ont une aptitude innée aux fantaisies immersives. Beaucoup découvrent cette capacité tôt dans l’enfance, en réalisant que ces fantasmes peuvent être utilisés pour réguler la détresse. En créant un monde intérieur confortable, ils sont capables d’échapper à la réalité.

“Certains rêveurs inadaptés, mais pas tous, peuvent utiliser ce moyen comme une stratégie d’adaptation. Par exemple, cette activité peut permettre de se distraire d’une réalité désagréable, ce qui peut aider à faire face à un traumatisme, à des événements de vie difficiles ou à l’isolement social. Mais cela peut conduire à un cercle vicieux – le fait d’y recourir pour faire face à des émotions négatives alimentant le besoin de s’y plonger”, souligne la chercheuse en psychologie.

Les liens entre rêveries compulsives et TOC

Cette pratique peut alors devenir un comportement addictif qui alimente les problèmes qu’elle était censée atténuer. C’est peut-être la raison pour laquelle la rêverie compulsive a tendance à se manifester parallèlement à d’autres troubles, comme le TDAH, l’anxiété, la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).

“Il semble par ailleurs y avoir un lien possible entre les TOC et la rêverie compulsive. Une étude a révélé que plus de la moitié des participants souffrant de leurs rêves éveillés trop fréquents présentaient également des signes de TOC. Cela peut suggérer l’existence de mécanismes communs entre ces types de troubles, notamment les pensées intrusives, la dissociation et le manque de contrôle cognitif”, précise Giulia Poerio.

“Bien que la rêverie compulsive fasse l’objet d’une attention croissante en ligne et dans les médias sociaux, elle n’est pas encore officiellement reconnue comme trouble dans les manuels de diagnostic psychiatrique”, regrette la chercheuse. Cela signifie que de nombreux professionnels de santé peuvent ne pas l’identifier, ce qui conduit à des diagnostics erronés ou au rejet des symptômes, ainsi qu’à l’absence de recherche de traitements. “Avec, en conséquence, le risque de davantage de détresse, d’isolement et de honte pour les personnes concernées. Ainsi, nombreux sont ceux qui se tournent vers les forums en ligne pour obtenir le soutien et la reconnaissance de leurs pairs, une pratique qui a ses propres risques”, déplore Giulia Poerio.

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