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Exclusif / bonnes feuilles

Histoires d'IVG (2/3) : «Je ne veux pas d’enfant de ce monstre»

En Pologne, en Argentine, mais aussi en France, l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) est au coeur de l'actualité. Pour les 46 ans de la loi Veil, les éditions Vuibert publient "Histoires d'IVG, histoires de femmes". Pourquoi docteur vous en dévoile les bonnes feuilles en exclusivité. 

Histoires d'IVG (2/3) : \ KatarzynaBialasiewicz / istock.




L'histoire de Lætitia

La sage-femme accueille Lætitia, 17 ans, pour une deuxième IVG. Son histoire médicale est très chargée depuis la petite enfance. Lætitia déclare un purpura thrombopénique (maladie des plaquettes sanguines) dans l’enfance qui d’après elle ne répond pas favorablement au traitement. Plus tard, s’est ajoutée une épilepsie. Lætitia est très déprimée, angoissée par ces maladies qui « l’empêchent d’entreprendre ». Elle est obligée de renoncer aussi bien à la préparation d’un CAP qu’à une passion sportive. Son environnement médical et familial la met constamment en garde, elle perd toute confiance, ne sort plus de chez elle de manière autonome. « J’étouffe, ma mère ne me lâche pas ! »

Lætitia arrive pour la première fois à évoquer sa première IVG, événement très traumatisant selon elle. Elle avait 15 ans et demi. Son partenaire à cette époque la harcelait moralement. Incapable de mettre fin à cette relation, elle découvre une grossesse de 4 mois et demi. « J’ai fait un déni », dit-elle. Sa maman l’accompagne à l’étranger pour interrompre cette grossesse. Le couple se sépare par la suite.

Elle rencontre un nouveau partenaire chez qui elle s’installe rapidement. Lætitia décrit à nouveau des faits de violences morales et physiques, des pressions inacceptables. Son partenaire voulait un enfant et jetait ses comprimés contraceptifs, il subtilisait son téléphone, la séquestrait. Lorsqu’elle découvre cette nouvelle grossesse, comme dans un élan de survie, elle se délivre de l’emprise de cet homme grâce à sa famille et ses voisins. Lætitia parle sans s’arrêter, recroquevillée sur elle-même : « Je ne veux pas d’enfant de ce monstre, pourquoi je tombe toujours sur des fous violents ? » Elle veut interrompre cette grossesse le plus vite possible. Elle dit son angoisse de revivre un tel événement lorsque sont abordés le déroulement de l’hospitalisation et les relais existants.

Elle accepte sans hésitation la rencontre avec la psychologue du service proposée par la sage-femme, inquiète pour cette jeune fille bouleversée, confrontée à une nouvelle IVG et à la répétition de violences. Durant la rencontre avec la psychologue, Lætitia parle beaucoup. Lætitia dit très rapidement qu’à l’âge de 3 ans elle a été séparée de sa maman : celle-ci a dû être hospitalisée en service de psychiatrie pour un « dédoublement de personnalité », et elle pense que c’est parce qu’elle avait perdu ses parents quand elle était jeune. Pendant cette période, Lætitia a été élevée par son père, qui était très exigeant, tapait facilement et parlait très mal de sa mère qu’il rabaissait. Elle a fait sienne cette image de sa mère.

Elle a été placée en internat, et sa mère n’a pu la récupérer qu’à l’âge de 10 ans par l’intermédiaire de la justice. À l’âge de 11 ans, elle s’est réveillée un jour aveugle et a dû être ré-hospitalisée. Elle a suivi une rééducation pour réapprendre à lire et à écrire et a été suivie par une psychologue de ce service. La jeune femme évoque ces moments de son enfance, son sentiment d’abandon à l’âge de 3 ans face à la disparition inexpliquée de sa maman. Elle acquiesce en ajoutant que « quand on est petite on avait une force, maintenant je pourrai plus le refaire ». Elle souffre de crises d’épilepsie qui l’obligent à interrompre son apprentissage de coiffure ; un nouveau traitement est en cours pour tenter de stabiliser ses crises. Elle a un beau-père qui s’inquiète aussi pour elle, mais elle n’arrive pas à lui parler ni à lui montrer son affection. « Je lui ai beaucoup manqué de respect », constate-t‑elle.

Nous parlons des copains qu’elle a connus : sa mère l’a obligée à porter plainte contre son premier copain à l’âge de 13/14 ans parce qu’il la violentait : « Il n’a dû payer que 125 euros d’amende ! ». Son dernier copain, dont elle est enceinte la harcelait et l’empêchait de sortir ; elle est restée 6 mois avec lui, et dit qu’aujourd’hui ce qui la détruit c’est de savoir qu’il est avec d’autres filles. Je lui demande pourquoi selon elle, elle se retrouve si souvent dans des relations d’emprise. Elle me dit qu’elle est très possessive. Je lui reparle de cet abandon dans son enfance qu’elle a évoqué en début d’entretien. Je lui demande si elle s’aime elle-même. Elle me dit que non. Ce discours contraste avec l’image séduisante qu’elle affiche dans sa tenue vestimentaire. Elle continue à me faire une liste de ses défauts ! Je lui demande si elle peut me citer une qualité. Elle cherche longtemps puis me dit : « J’aime les animaux, quand je les prends dans les bras, j’ai l’impression que tout mon mal-être part ».

Je reçois la maman qui l’accompagne dans sa démarche d’IVG et nous reprenons ensemble des éléments de l’histoire familiale. Elle-même souhaite que Lætitia puisse bénéficier d’un suivi psychologique, mais aussi trouver un lieu de prise en charge pour établir une bonne distance avec un entourage extra-familial où elle se met en danger.

Après l’hospitalisation qui s’est bien passée, je retrouve Lætitia posée et en confiance. Je lui donne une adresse relais pour un suivi psychologique et encourage la maman à demander au médecin qui la suit pour son problème d’épilepsie de faire une demande d’admission dans un centre de réadaptation fonctionnelle de la région, spécialisé dans la formation et la recherche d’emploi pour personnes présentant un handicap.

Pour en savoir plus, lisez : Histoires d'IVG, Histoires de femmes - Parce qu’il faut en parler et surtout les écouter, de Luisa Attali, Karima Bettahar, Elisabeth Guceve, Françoise Hurstel (Compilateur) et Israël Nisand (Préfacier).

Fiche de lecture : L'interruption volontaire de grossesse (IVG), légalisée en France en 1975, reste un droit à défendre parce qu'elle permet aux femmes de choisir et d'avorter de façon sécurisée. L'IVG est vécue différemment selon les femmes et peut représenter pour beaucoup un événement douloureux. C'est pourquoi l'IVG ne doit pas se réduire à un acte médical et doit être accompagnée par la parole : elle peut alors devenir un événement constructif dans la vie d'une femme. 
C'est ce que six professionnelles de santé - gynécologues, psychanalyste, psychologues et sage-femme - ont souhaité partager dans ce livre. Leur point de vue, forgé au cours de leurs années d'accompagnement des femmes et renforcé dans leur groupe de parole, est développé à travers le récit de 23 cas cliniques. Adolescentes ou mères, seules ou en couple, les femmes, face au choix de l'IVG, se confrontent à leur histoire, à celle de leurs parents ou de leur couple, aux silences et aux violences qui parfois la traversent. En un mot, elles se confrontent à elles-mêmes. Chaque histoire est singulière : c'est ce qu'ont voulu montrer les auteurs en s'appuyant sur leur pratique clinique, leur expérience de l'écoute et de la prévention. Ces récits révèlent ce qui peut aider les femmes ayant vécu une IVG à sortir grandies grâce à la parole. Ce livre se veut un outil pour tous les professionnels, qu'ils soient médecins, sages-femmes, psychologues, infirmières, assistants sociaux, afin qu'ils soient sensibilisés et formés à la bienveillance et aux échanges de groupe.
Il intéressera également toutes celles et ceux qui défendent les droits des femmes et notamment celui de choisir.

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