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QUESTION D'ACTU

Interview

Anosmie : «Avec la perte de l'odorat, beaucoup des souvenirs de votre vie s'éteignent !»

Polypose nasale, traumatismes, maladies virales, hérédité : les causes de l'anosmie sont multiples. Mais ce trouble de l'odorat, mis en lumière lors de l'épidémie de Covid-19, reste mal pris en charge. En cause, une méconnaissance de l'importance de ce sens. Jean-Michel Maillard, président de l'association "Anosmie.org" se bat pour une meilleure reconnaissance de ses conséquences.

Anosmie : \ Viktoria Korobova/iStock




- Pourquoi Docteur: Vous êtes président d’une association regroupant des patients qui souffrent d’anosmie et de troubles de l’odorat. Vous êtes vous-même atteint par ce trouble. Comment réalise-t-on que l’on souffre d’anosmie ?

Jean-Michel Maillard : Dans mon cas je suis anosmique traumatique -mais celle-ci peut être aussi virale, congénitale ou consécutive à une polypose nasale- c’est-à-dire que j’ai été victime, à la suite d’un choc sur l’arrière de la tête, d’une destruction de la connexion neuronale qui remonte les molécules odorales au niveau du cerveau. Dans ce cas on perd tout de suite l’odorat, mais on ne s’en aperçoit pas. Tout simplement parce que l’anosmie, bien souvent, n’est jamais le premier problème, ce n’est pas le sujet prioritaire quand cela survient au moment où d’autres éléments affectent la santé. L’anosmie est un mal qui vous fera souffrir dans les années qui viennent mais nous n’y sommes pas préparés parce que personne ne nous a jamais expliqué les conséquences de la perte d’odorat, et surtout personne ne nous a expliqué à quoi sert l’odorat. Les Français n’ont découvert leur odorat qu’au mois de mars 2020 !

- Mais que se passe-t-il lorsque l’on réalise que l’on a perdu l’odorat ?

On entre dans un puits sans fond. On découvre l’importance de l’odorat le jour où on le perd, on s’aperçoit que c’est un sens qui vous accompagne tous les jours. Et à ce moment-là, on découvre le vide scientifique, le vide médical, le vide sociétal -quand vous dîtes aux gens que vous avez perdu l’odorat, ils ne comprennent même pas ce que cela veut dire. Vous réalisez que les odeurs du quotidien vous accompagnent, celle du café du matin, celle du printemps. En perdant l’odorat, vous ne pouvez plus détecter les odeurs des aliments avariés, votre propre odeur corporelle, les odeurs qui signalent un danger, toutes ces odeurs qui nous font nous sentir vivre. Le goût étant composé en très grande partie de l’odorat, les repas ne sont plus des moments de plaisir, ce qui peut déboucher sur des troubles alimentaires assez sévères soit parce que l’on va désespérément chercher le plaisir en mangeant abondamment soit parce que la frustration est tellement importante que vous ne mangez plus. Et puis, surtout, vous n’avez plus accès à vos souvenirs : l’odeur du linge qui sèche et qui vous ramène dans le jardin de votre grand-mère il y a trente ans, c’est fini, celle du parfum de votre ancienne petite amie qui vous renvoie à vos souvenirs de jeunesse, c’est fini, l’odeur de la colle blanche qui vous ramène sur les bancs de l’école, c’est fini. Tous les souvenirs de votre vie s’éteignent : ils sont toujours là mais vous n’êtes plus capables de les déclencher. Ce qui disparait aussi, c’est l’odeur de nos proches… mes fils avaient une odeur quand je les embrassais, aujourd’hui ces bisous manquent de retour… l’odeur de ma femme, un élément essentiel dans notre relation, c’est ce qui me manque le plus.

- Le sentiment dominant lorsque l’on perd l’odorat, c’est lequel : celui d’être isolé, d’être incompris ?

Chaque personne répondrait sans doute différemment mais moi qui suis en contact avec des milliers de gens concernés par ce trouble, je peux dire qu’il y a une incompréhension qui amène à une sorte de détresse, vous en voulez à tout le monde, au médecin qui vous dit on ne peut rien pour vous, au chercheur qui vous confirme que même dans les décennies à venir il n’y aura sans doute rien. Et quand vous en parlez à vos proches, aux gens avec lesquels vous travaillez, ils ne comprennent pas ce qui vous arrive. Cela provoque toujours chez moi une colère froide. On est quand même au pays de la gastronomie, de l’œnologie, des parfums, de la sensualité, et tout cela n’existerait pas si nous n’avions pas d’odorat ! Il y a un essentiel que l’on a juste oublié !

- Comment les médecins expriment leur incapacité à agir face aux troubles de l’odorat ?

Ils expliquent qu’il n’y a pas de sujet et qu’il faut rapidement apprendre à vivre sans … Je n’en veux pas aux médecins de ne pas savoir, ce que je leur reproche c’est de ne même pas connaître la nature du trouble et ses conséquences. Comme on ne sait pas ce que vivent les patients, on leur fait comprendre qu’ils pourraient être morts ou aveugles ! Finalement, face à cela, on se renferme sur soi-même, il y a 80% des patients qui vivent des épisodes dépressifs sévères.

- Quelle explication donner à cette idée que la perte de l’odorat « ce n’est pas si grave » ?

Beaucoup de gens n’ont aucune idée de ce à quoi sert l’odorat. J’invite tout le monde à surveiller pendant 24 heures son odorat, c’est un sens qui va les interpeller des centaines de fois : un repas qui se prépare, le parfum de quelqu’un qui passe, une mauvaise odeur -qu’est-ce que l’on donnerait, nous, patients, pour sentir une mauvaise odeur !- , ce sont toutes ces émotions qui participent à la qualité de la vie.

- Vous essayez à travers votre association de faire reconnaître les troubles de l’odorat comme un handicap. Sur quels critères vous appuyez-vous pour formuler cette demande ?

J’ai reçu il y a quelques jours la confirmation du député Jérôme Nury (député de l'Orne, NDLR) par l’intermédiaire duquel on a posé plusieurs questions au ministre de la Santé et il y en a une effectivement qui concerne la reconnaissance du handicap. La définition faite par l’Europe de la notion de handicap montre clairement que l’anosmie est un handicap. Nous avons dans l’association des chefs cuisiniers, des oenologues, des parfumeurs : tous les efforts qu’ils ont réalisé pour travailler ce sens, c’est perdu !

- La multiplication des cas d’anosmie liée à la Covid-19 peut-elle être un accélérateur pour une telle reconnaissance, notamment en raison de nombreuses conséquences professionnelles ?

Je poussais déjà avant la Covid, nous avons fait des protocoles de rééducation olfactive avec le CNRS qui servent aujourd’hui à beaucoup de monde. On espère que la mobilisation qui existe désormais dans de nombreux pays pour relayer le message des gens qui souffrent de la perte d’odorat permettra d’avancer.

- A qui faut-il s’adresser lorsque l’on souffre de ce trouble, un généraliste, un spécialiste, une association comme la vôtre ?

Venir dans notre association, oui, bien sûr ! Nous pouvons aider les gens, leur répondre. Après, on peut bien sûr aller voir des spécialistes … mais malheureusement, il n’y en a pas ! Nos spécialistes, ce sont les ORL et puis il y a les psychologues qu’il faut absolument aller voir. Mais eux non plus ne savent pas ce que c’est que l’anosmie ! Des sophrologues, des orthophonistes viennent participer à nos réunions pour se former à la rééducation olfactive. Le plus important, c’est de trouver quelqu’un qui vous écoute, qui va vous accorder quelques minutes d’attention, on ne parle pas d’anosmie en quinze secondes ! Il faut trouver les mots, et l’odorat est un sens qui défie le langage tellement on ignore à quoi il sert.

- Pour construire vos programmes de rééducation olfactive, sur qui vous appuyez-vous ?

Il y a des études qui existent depuis 2000 sur la rééducation olfactive. Il est démontré que cette rééducation peut donner des résultats. Je me suis aussi attaché les services d’un spécialiste des neurosciences au CNRS. Nous avons mis au point un protocole pour que les gens puissent se rééduquer chez eux. On pourrait croire que c’est de la médecine, mais c’est simplement prendre cinq minutes le matin avec quatre ou six odeurs qui ont été déterminées par des chercheurs et qui balaient le champ olfactif : on se concentre sur son odorat pour essayer de favoriser la neurogénèse, le renouvellement des neurones olfactifs. Nous avons fait aussi une application avec deux professeurs de médecine qui a été approuvée par une étude scientifique qui a montré que 70% des gens récupéraient une grande partie de leurs sensations.

- Ce protocole devrait-il être partagé avec tous les professionnels de santé ?

Chacun est libre de faire ou de ne pas faire … Plusieurs ORL ont déjà intégré ce programme et prescrivent cette rééducation à leurs patients. Pour ceux qui souffrent de perte d’odorat suite à la Covid, cette rééducation doit démarrer dans les quinze jours et ne pas attendre en espérant que cela reviendra… ou pas ! Ce sont des choses simples à faire. Mais il y a une vraie nécessité sur ce sens de remettre les compteurs à zéro, de dire voilà ce qui existe, faisons-le.

- Quelles sont les causes d’anosmie chez les patients qui consultent auprès de votre association ?

Nous avons des personnes qui souffrent de polypsose nasale, des anosmiques congénitaux -on peut naître sans odorat-, des anosmiques viraux puisqu’avant même la Covid certains perdaient l’odorat à la suite d’une grippe, des patients dont l’anosmie est liée à des effets secondaires de médicaments, mais le gros de la troupe c’est la polypose nasale et les infections virales. Pour ceux qui ont perdu l’odorat à cause d’une polypose nasale, c’est encore pire puisque leur sens est intact, c’est l’atteinte des voies respiratoires qui les empêche de sentir. Pour ceux-là, on donnera tout ce que l’on peut pour leur rendre l’odorat !

- Qu’attendez-vous, au-delà de la reconnaissance du handicap, en termes d’amélioration de la prise en charge des anosmiques ?

On attend que le test de l’odorat figure dans les barèmes de l’Assurance maladie ! Et pour travailler sur le long terme, nous attendons la création d’un test de l’odorat chez les enfants : entre zéro et cinq ans on est régulièrement suivi par un médecin, mais jamais on ne vérifie si l’odorat d’un enfant fonctionne comme on vérifie l’ouïe ou la vue ! C’est comme si on leur disait implicitement que l’odorat cela ne sert à rien. Nous avons proposé au ministère de la Santé de créer dans le carnet de santé une page sur les cinq sens, on veut que l’odorat soit là ! Et pour être un peu technique, on n’a pas besoin de connaître aussi finement que pour la vue ou l’audition le degré de sensibilité aux odeurs, on a juste besoin de savoir si cela fonctionne ou pas.

- C’est peut-être compliqué de tester l’odorat d’un très jeune enfant qui n’a pas forcément les mots pour traduire la façon dont il perçoit les odeurs …

On a besoin d’eux ! On réfléchit avec un chercheur qui a beaucoup travaillé sur l’olfaction pour créer un test de l’odorat simple. Cela peut aider pour les enfants … mais pas seulement : quand on sait que la perte de l’odorat est aussi un des premiers signes dans les maladies neurodégénératives, on voit bien que cela concerne aussi les plus âgés. N’oublions pas que chez ces personnes âgées, l’odorat amène des émotions et il y a un vrai travail à faire avec eux pour les ramener à percevoir des odeurs qui feront remonter des souvenirs qui vont égayer leur quotidien.

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