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QUESTION D'ACTU

Faire cesser la polémique

Un grand patron s'engage : sortie de la préhistoire pour le Baclofène dans le sevrage alcoolique

Pour sortir de la polémique entourant l’utilisation du Baclofène, et décider d’une éventuelle autorisation de mise sur le marché, l’agence du médicament (ANSM) a mis en place une procédure spéciale et transparente. Les commentaires du Professeur Jean-François Bergmann,  chef du Département de Médecine Interne à l’Hôpital Lariboisière, à Paris et Professeur de thérapeutique à l’Université Paris Diderot est aussi ancien vice-président de la commission d’Autorisation de Mise sur le marché (AMM) des Médicaments.

Un grand patron s'engage : sortie de la préhistoire pour le Baclofène dans le sevrage alcoolique Pr Jean-François Bergmann


  • Publié le 21.03.2018 à 18h24
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  • Mise à jour le 22.03.2018 à 12h09
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Le Baclofène est un myorelaxant d’action centrale qui a son AMM depuis près de 40 ans pour le traitement de la spasticité musculaire. Depuis une dizaine d’années, des vertus d’aide au sevrage alcoolique et le maintien de l’abstinence lui ont été rattachées et un large usage hors AMM a été constaté en France dans une ambiance pour le moins passionnelle.

L’âge de pierre

Tout à commencer en 2008 avec un livre du Docteur Olivier AMEISEN : « Le dernier verre » dans lequel il racontait la fin de son addiction alcoolique et le maintien de son sevrage grâce à de fortes doses de Baclofène. Très rapidement, ce traitement a été utilisé hors AMM pour l’obtention ou le maintien de l’abstinence chez les alcooliques.

Des dizaines de milliers de patients ont été traités sur une notion d’efficacité transmise de bouche à oreilles. Devant l’ampleur de cette utilisation, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a mis en place une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) qui a permis à plus de 120 000 patients de bénéficier de ce traitement. Très vite la polémique a enflé devant l’utilisation très large d’un médicament non dénué d’effets indésirables.

Les pro-Baclofène (« Probaclo ») ont souligné la gravité de l’alcoolisme en France avec une mortalité se chiffrant en dizaines de milliers de malades chaque année, l’urgence de la mise à disposition d’un médicament semblant efficace et l’impression du bénéfice évident construite sur de nombreux témoignages et d’expériences individuelles. Un front militant s’est formé réclamant le droit à l’accès à ce médicament dans l’attente de preuves plus formelles d’efficacité.

En face les anti-Baclofène (« Antibaclo ») considéraient que ce médicament, comme tous les autres, ne devraient être utilisé qu’après une autorisation de mise sur le marché prouvant un rapport bénéfice/risque favorable. Ils considéraient que l’obtention de preuves cliniques devait précéder l’utilisation à une large échelle et leur réserve s’appuyait sur un certain nombre de données témoignant d’une moindre efficacité que celle avancée par les Probaclo associée à des risques d’effets indésirables parfois graves, voire mortels liés à l’usage de ce médicament à action centrale.

L’âge de raison

Depuis quelques années, nous obtenons enfin des éléments scientifiquement valides pour mieux cerner l’efficacité et les risques liés à ce traitement. Une quinzaine d’essais contrôlés, randomisés menés en double aveugle, de qualité méthodologique variable, sont petit-à-petit disponibles ainsi que trois méta-analyses.

La Société Française d’Alcoologie, a récemment fait une analyse exhaustive de cette littérature en séparant les essais évaluant les doses sevrage des essais évaluant l’aide à l’abstinence. Pour eux, la plupart des essais contrôlés sont négatifs et ils concluent que les données actuelles de la science sont insuffisantes pour avoir une réelle appréciation du rapport bénéfice/risque du Baclofène. Ils plaident pour de nouvelles études contrôlées menées plus rigoureusement que les précédentes.

En parallèle, un certain nombre de données épidémiologiques, essentiellement françaises a été obtenu à partir des 120 000 malades traités. Malgré la fragilité méthodologique de ces cohortes rétrospectives, elles ont tenté d’apprécier l’efficacité mais surtout le risque du Baclofène qui semble dose-dépendant, ce qui a conduit l’ANSM à recommander des posologies inférieures à 80 mg/jour.

Mais surtout un laboratoire pharmaceutique français, propriétaire des deux principales études randomisées menées récemment (Alpadir et Bacloville) a déposé devant l’ANSM une demande d’AMM nationale. Cette procédure d’AMM nationale est en désuétude puisque la plupart des développements est faite au niveau mondial et les demandes d’AMM sont quasi-exclusivement européennes. Cependant dans le cas présent, avec une molécule ayant précédemment une AMM française dans la spasticité musculaire, avec une utilisation quasi-exclusivement hexagonale et avec des essais cliniques principalement français, il était logique de débuter par une demande d’AMM nationale.

L’Agence du Médicament a donc une décision importante et délicate à prendre. Pour se faire, pour se protéger d’éventuelles critiques des Probaclo comme des Antibaclo, elle s’entoure de nombreuses collaborations et a fait appel à une procédure relativement inédite : d’une part, il a été créé un comité spécialisé scientifique temporaire chargé d’analyser l’ensemble des données de la science sur le Baclofène, d’autre part la décision d’AMM sera prise conjointement par trois commissions existant à l’ANSM, la commission d’évaluation initiale du bénéfice et du risque (puisqu’il s’agit d’une nouvelle AMM), la commission du suivi du rapport entre le bénéfice et le risque des médicaments (puisque le Baclofène est déjà sur le marché depuis presque 40 ans) et la commission des psychotropes et des stupéfiants (puisque ce médicament a une action centrale). Ces trois commissions décideront avant l’été. Les débats seront publics et retransmis sur Internet.

On peut se féliciter des efforts de transparence mis en œuvre dans cette situation scientifique inédite. Mais la décision finale sera lourde de sens et il est donc nécessaire qu’elle soit prise le plus rigoureusement possible et en toute indépendance.

Vers l’âge d’or ?

Il est malheureusement illusoire de penser qu’une seule molécule puisse résoudre à elle seule le difficile problème multifactoriel de l’alcoolisme. Mais à l’inverse, devant le peu d’options thérapeutiques existant actuellement, toute nouvelle stratégie efficace est bienvenue.

Soit les commissions ad-hoc de l’ANSM considèrent que le rapport bénéfice/risque de ce médicament est favorable, ils devront alors donner l’AMM, préciser la population-cible et la posologie. Il est certain que la mise sur le marché devra s’entourer de mesures de surveillance, d’un plan de gestion de risques, de données épidémiologiques, de suivi des patients traités. Si le rapport bénéfice/risque du médicament est défavorable, il faudra le dire clairement, ne pas donner l’AMM et faire stopper la RTU pour que cesse progressivement l’utilisation d’un médicament plus délétère que bénéfique. Enfin, il est possible que l’analyse exhaustive des données de la science, des essais cliniques, des données de pharmacovigilance ne permette pas de trancher de façon formelle en l’absence d’élément scientifique fort et convaincant. Il faudra alors conduire de nouveaux essais cliniques rigoureusement menés.

Malgré l’urgence et la gravité de la pathologie, il est préférable de se donner quelques années de plus pour avoir des données scientifiques solides plutôt que de mettre à disposition de façon libre et non contrôlée un médicament mal connu qu’il sera alors difficile d’évaluer sereinement.

Il est aussi dangereux de priver les malades d’un médicament efficace que de laisser utiliser un médicament potentiellement dangereux. La rigueur et le sérieux de l’évaluation mis en place par l’ANSM pour décider de l’AMM du Baclofène doivent être soulignés. Souhaitons que sa décision finale soit respectée de tous.

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