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QUESTION D'ACTU

Crise de l’ANSM

Levothyrox : un spécialiste décrypte le vrai du faux concernant la nouvelle formule

Retour sur une affaire complexe avec le Pr Jean-François Bergmann, chef du Département de Médecine Interne à l’Hôpital Lariboisière, à Paris et Professeur de thérapeutique à l’Université Paris Diderot. Ancien vice-président de la commission d’Autorisation de Mise sur le marché (AMM) des Médicaments, il est certainement l'un de ceux qui connaissent le mieux le Levothyrox, médicament dont on dit tout et n'importe quoi. Il décrypte le vrai du faux.

Levothyrox : un spécialiste décrypte le vrai du faux concernant la nouvelle formule Pr Jean-François Bergmann




Il y a quelques mois, j’émettais quelques hypothèses pour tenter d’expliquer "l’affaire Levothyrox" : il me semblait qu’il n’y avait pas d’arguments pharmacologiques pour penser que le Mannitol, dans la nouvelle formule du Levothyrox, puisse expliquer les symptômes décrits. Ceux-ci me paraissaient vraisemblablement plutôt dus à l’effet "nocebo" de la molécule, amplifiés par les relais des réseaux sociaux et le battage médiatique de cette triste histoire.

Depuis, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a publié, fin janvier, son deuxième rapport de pharmacovigilance analysant l’ensemble des déclarations d’effets indésirables rapportés à la prise de la nouvelle formule de Levothyrox : plus de 12 000 notifications ont été analysées et ont donc été rapportées chez 0,75 % des patients prenant ce médicament.

Une majorité d’effets indésirables peu graves

Les trois quarts des effets indésirables étaient peu graves. Les patients d’âge moyen de 55 ans étaient des femmes dans 90 % des cas et signalaient en moyenne cinq effets indésirables chacune. L’asthénie était rapportée dans 78 % des cas, les céphalées dans 45 %, les troubles musculaires dans 58 %, l’insomnie dans 43 %, les troubles digestifs dans 60 %, l’alopécie dans 60 % et les vertiges chez plus de 95 % des sujets. Pour 1745 dossiers il a été possible d’analyser l’évolution du dosage de la TSH : celle-ci était normale dans 2/3 des cas, élevée donc plutôt en faveur d’une hypothyroïdie dans 24 % des cas et basse donc en faveur d’une hyperthyroïdie dans 10 % des cas.

Relativiser la fréquence des effets secondaires

Si l’immense majorité des notifications a eu lieu entre juillet et novembre 2017, il est singulier de noter que plus de 1500 patients rapportaient le début des troubles lors du premier trimestre 2017, c’est-à-dire avant la mise sur le marché de la nouvelle forme de Levothyrox !

On peut s’étonner que seuls 10 décès aient été notifiés car si l’on suit pendant trois mois 2 600 000 Français (ceux qui prennent du Levothyrox), c’est au moins 5 000 décès qui auraient dû être notifiés. C’est dire si les déclarations d’effets indésirables ne sont qu’un reflet très biaisé des troubles observés.

Une corrélation variable par rapport au bilan hormonal

Beaucoup de patients se sont plaints d’un déséquilibre de leur traitement avec l’arrivée de la nouvelle forme de Levothyrox. Force est cependant de constater que 2/3 d’entre eux gardaient une TSH normale alors que les troubles subjectifs étaient avérés. La nouvelle forme de Levothyrox était supposée être plus stable pour des comprimés s’approchant de la date de péremption.

On aurait pu alors considérer que le nouveau Levothyrox gardaient plus d’activité donc entrainait un plus haut risque d’hyperthyroïdie. Or en fait, ce sont les hypothyroïdies qui ont été les plus fréquentes et une fois encore les dérèglements dans l’effet thérapeutique n’étaient observés que chez 1/3 des sujets ce qui prouve bien que pour la majorité des patients rapportant des effets indésirables, ceux-ci n’étaient pas liés à un déséquilibre dans leur thérapeutique substitutive.

Des effets indésirables habituels

Les symptômes rapportés étaient extrêmement divers, impossibles à confirmer objectivement par des tests spécifiques et mêlaient parfois chez le même patient des signes en faveur d’hypothyroïdie et des signes en faveur d’hyperthyroïdie ! Aucun des décès rapportés n’a pu être rattaché à ces effets indésirables.

Les données de la littérature rapportées dans le rapport de l’ANSM sont extrêmement intéressantes puisqu’on cite notamment l’étude CONTROL de Mac Millan et collaborateurs en 2016 qui ont analysé sur plus d’un an plus de 900 patients prenant toujours la même formulation de lévothyroxine.

Dans l’année, 23,4 % de ces patients ont eu un déséquilibre de leur thérapeutique et ont dû modifier leur posologie de lévothyroxine et il y a même eu 8 % d’entre eux qui ont dû faire deux modifications au cours de l’année. On est finalement très proche des chiffres observés chez les patients ayant rapporté les effets indésirables liés à la nouvelle formulation de Levothyrox. Les éventuels déséquilibres thyroïdiens ne sont finalement pas plus fréquents avec la nouvelle forme de Levothyrox que ce qu’avait constaté Mac Millan dans son suivi de patients ayant toujours utilisé le même médicament.

Que penser de tout ça ?

Il est maintenant établi que le nouveau Levothyrox n’entraîne pas significativement plus de déséquilibre dans la fonction thyroïdienne que l‘histoire naturelle des patients prenant toujours la même présentation de lévothyroxine. Les notifications ont certes été extrêmement nombreuses, comme dans une épidémie galopante, mais il n’y a pas eu d’effet indésirable grave imputable. S’il y avait eu un mécanisme physiopathologique iatrogène spécifique à la nouvelle formulation de Levothyrox, les effets indésirables allégués auraient été beaucoup plus stéréotypés, alors que la multiplicité et la variété des symptômes rapportés rendent peu probable l’existence d’un mécanisme d’action pharmacologique spécifique pouvant expliquer toute cette symptomatologie et tous ces phénotypes si différents d’un sujet à l’autre.

Maintenant que faire ?

Les victimes ont demandé réparation mais il sera bien difficile pour elles d’obtenir gain de cause dès lors qu’il n’a pas été établi de causalité physiopathologique entre la nouvelle forme de Levothyrox et les symptômes observés. De nouvelles études permettraient-elles de mieux comprendre les phénomènes observés ?
Il me parait tout à fait inutile de refaire l’étude de bioéquivalence réalisée chez 204 volontaires prouvant la parfaite similitude entre la nouvelle et l’ancienne formule de Levothyrox.

Cette étude est méthodologiquement très solide, la dupliquer ou la refaire avec des traitements prolongés chez des malades donnerait la même équivalence pharmacocinétique, serait vain et éthiquement discutable. De plus, le fait que les patients rapportant des effets indésirables aient pour 2/3 d’entre eux une TSH normale prouve bien que ces effets indésirables sont indépendants de l’activité pharmacodynamique de la nouvelle formulation de Levothyrox.

Questions pratiques

Faut-il faire des études pour savoir si l’excipient au Mannitol peut donner de tels effets indésirables ? Mais n’oublions pas que ce produit se retrouve dans de nombreux additifs alimentaires, dans de très nombreux médicaments et qu’il n’a jamais entraîné de telles manifestations. Il est pharmacologiquement impossible que 60 mg d’un excipient aussi connu que celui-là puisse entrainer de si importants désordres.

Faut-il analyser et explorer plus avant les symptômes rapportés ? Mais ceux-ci sont subjectifs et n’ont jamais été accompagnés d’anomalies des explorations d’imagerie, de biologie ou de physiologie, notamment au niveau cérébral, digestif, musculaire ou cutané.

Faut-il refaire des études épidémiologiques ? Mais nous avons maintenant des données assez précises sur des gros effectifs et seule une comparaison, à partir des bases de la Sécurité Sociale, permettrait de savoir s’il y a eu significativement plus de déséquilibres thyroïdiens en 2017 qu’en 2016 ou en 2018 (mais il faudra se méfier d’un biais à des dosages plus fréquents en 2017 contemporains de « l’affaire » : plus on fait des dosages de TSH, plus on a de probabilité d’en trouver des faussement anormaux).

Peut-on clore le débat ?

Alors finalement, la seule façon de clore réellement le débat serait de proposer à quelques centaines de patients qui se sont plaints d’effets indésirables lors de la prise de la nouvelle formulation de Levothyrox, d’entrer dans un essai contrôlé randomisé prospectif en double aveugle où la moitié d’entre eux recevrait l’ancien Levothyrox et l’autre moitié le nouveau Levothyrox sans, bien évidemment, qu’ils sachent dans quel groupe de traitement ils se trouveraient. On mesurerait alors l’incidence de signes d’intolérance et il serait alors possible d’affirmer avec une relation de causalité évidente qu’il existe ou non une augmentation des effets indésirables avec le nouveau Levothyrox.

Mais, qui aura le courage ou la folie de faire cette étude et qui accepterait d’y participer ? Quand bien même cette étude serait faite et montrerait l’incidence d’effets indésirables identiques, il n’est pas certain que « l’affaire du Levothyrox » s’éteindrait pour autant. Les dizaines d’essais contrôlés bien menés prouvant l’absence d’efficacité de l’homéopathie n’empêchent pas des millions de malades d’y croire encore et il est des situations où les démonstrations scientifiques ne suffisent pas à modifier une croyance.

Je suis absolument convaincu que ces souffrances sont réelles, je reste convaincu qu’elles ne sont pas liées à la nouvelle formulation du Levothyrox, je pense que d’autres essais, études ou enquêtes ne suffiront pas à changer les convictions de certains mais je reste optimiste : les symptômes vont disparaître comme ils sont venus et le traitement par lévothyroxine restera facile pour certains, chaotique et semé d’embûches pour d’autres. A nous médecins d’expliquer tout cela le mieux possible aux patients, à nous de les accompagner, de les tranquilliser avec empathie et compassion mais sans laisser la place à une pseudoscience disproportionnée.

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