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QUESTION D'ACTU

Strasbourg

Salle d'injection : réduire les risques et réinsérer

REPORTAGE – A Strasbourg, la salle de consommation a ouvert ses portes, au grand soulagement des usagers de drogues et des acteurs de la réduction des risques.

Salle d'injection : réduire les risques et réinsérer Henri Garat/SIPA




A l’Hôpital Civil de Strasbourg, les murs de l’ancien service de chirurgie thoracique abritent aujourd’hui une salle. Elle s’appelle « Argos » : c’est une salle de consommation de drogues à moindre risque (SCMR). « Elle porte le nom du chien d’Ulysse, le seul à l’avoir reconnu à son retour de l’Odyssée, précise l’équipe qui la gère. Comme lui, nous sommes ceux qui reconnaissent les usagers comme ayant besoin d’aide et de soins. »

Certains disent « salles de shoot » mais la formule, maladroite, peine à décrire le lieu et ses ambitions. On est en effet loin du club à défonce qui façonne les fantasmes - et ce n’est pas ce genre d’endroit qu’est venue visiter ce jeudi matin la Mildeca, (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Toxicomanies), accompagnée des équipes municipales et associatives de Paris et de Strasbourg, qui ont porté les projets de SCMR dans les deux villes.

Ergonomique

Ensemble, elles viennent de clore le premier comité de pilotage de ces deux dispositifs ; le bilan semble déjà favorable. La salle strasbourgeoise dénombre une trentaine de passages journaliers, dont une majorité de personnes qui s’injectent de la cocaïne. Les femmes représentent plus d’un tiers de ce public, âgé de 30 à 45 ans en moyenne.

Dans les différentes pièces – accueil, repos, infirmerie, postes d’injection et d’inhalation - baigne une atmosphère aseptisée mais cosy, semblable à celle de ces cliniques flambant neuves que l’on construit en pensant au bien-être des patients. L’ergonomie du site répond d’ailleurs aux besoins les plus précis de la communauté d’usagers, depuis les grands casiers pour ranger les bagages de ce public parfois itinérant, jusqu’aux zones dédiées pour laisser les chiens et bientôt, des compartiments pour déposer sa bière.

« Ils achètent souvent des canettes grand format de bière forte qu’ils ne veulent pas abandonner – ils n’ont pas beaucoup d’argent, rappelle l’équipe. Alors, ils boivent tout d’une traite avant d’entrer et de consommer, ce qui augmente les risques lors de la prise de drogues. On peut éviter cela en réservant un espace pour garder les canettes ».

La difficile acceptation de la réduction des risques

En France, la réduction des risques (RDR) est appliquée depuis la fin des années 1980 et la mise en place de programmes d’échanges de seringue (PES). Il s’agit alors de fournir des seringues neuves aux usagers et de reprendre celles qui ont été utilisées, afin de limiter la prévalence des infections parmi cette population. La prescription de traitements de substitution aux opiacés (méthadone, subutex…), possible dès 1996, est un autre pilier de cette politique.

La RDR est une approche pragmatique qui consiste à diminuer les dégâts liés à une pratique, fût-elle illicite. Les tenants de RDR partent du principe qu’un monde sans drogues est aussi désirable qu’illusoire. Puisque le peuple consomme, autant lui apprendre à limiter la casse.

Cette vision peut heurter les défenseurs d’une approche plus morale sur les drogues. Les débats houleux sur les SCMR et leur difficile implantation en France ont illustré ce clivage idéologique – même si, quelques mois après leur ouverture, les craintes soulevées (augmentation du trafic, incitation à la consommation…) ne se vérifient pas.


Debout, un grand carnet rouge entre les mains, Danièle Bader-Ledit, la présidente de l’association Ithaque qui gère la salle, récite les notes laissées par les usagers. A la manière d’un livre d’or ou d’un cahier de doléances, les consommateurs inscrivent sur ces pages ce que leur apporte la salle. Ils racontent le réconfort d’un lieu bienveillant, et puis l’inconfort, parfois aussi – la qualité du café semble peu appréciée. « J’ai appris grâce aux fascicules que vous fournissez que j’avais des pratiques à risque et j’en ai été choquée. Comment faire pour que les gens qui ne savent pas bien lire aient accès à cette information ? », écrit une usagère, lue par la présidente visiblement émue – c’est après tout pour cela qu’elle se bat avec tant de vigueur.

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Danièle Bader-Ledit, présidente d'Ithaque : « C’est très important d’avoir ces retours. Nous envisageons de mettre des écrans pour diffuser des messages pour ceux qui ne peuvent pas lire... »


Se piquer proprement

On ne vient pas à « Argos » pour se piquer, mais pour se piquer proprement, ce qui fait toute la différence. Les usagers qui se presseront lorsque 13h sonneront – la salle n’ouvre pas avant – ont conscience des dégâts associés à leurs pratiques, et manifestent une envie de les réduire, quoi que puisse penser la société de ces usages. « Mais il peut y avoir un monde entre le moment où on explique, théoriquement, comment éviter les risques d’infections et le moment de l’injection lui-même », souligne Karine, éducatrice spécialisée qui travaille à « Argos ».

Cela fait des années que le milieu de la réduction des risques connaît la nécessité de déployer ce type de dispositif pour réduire la transmission des infections (hépatites, VIH) et les risques d’overdose. Depuis leur lancement il y a 30 ans en Suisse, les SCMR ont largement fait leurs preuves – et il ne s’agit pas seulement d’une question d’hygiène et de prévalence des maladies infectieuses.

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Karine, éducatrice spécialisée : « Certaines personnes expliquent qu’ils ont espacé leur consommation ici, car ils se reposent davantage, alors qu’ils auraient enchainé deux prises chez eux »

« Narcissisation »

La visite d’un Caarud (Centres d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues) permet peut-être de mieux comprendre le rôle de ces outils si décriés parce qu’ils n’encouragent pas au sevrage, selon l’argument que l’on entend souvent. Ce jeudi, une vingtaine d’usagers sont réunis dans la salle d’accueil du centre, dit « Espace Indépendance ». Ils prennent le café, discutent, s’interpellent, rient. Ici, ils ne sont plus des camés, des toxicos ou des cas sociaux : ce sont juste des humains qui papotent autour d’une table.

Dans les Caarud, on apprend la réduction des risques et l’injection propre, mais il est formellement interdit de consommer des drogues sur place. La mission de ce centre outrepasse d’ailleurs le seul objectif sanitaire. Les usagers disposent d’une adresse postale, d’une machine à laver, de douches, d’une assistance médicale, psychologique et sociale, d’ateliers cuisine ou encore d’un chauffeur.

Contrairement à d’autres Caarud un peu glauques, celui-ci respire le neuf et le propre. « Il était hors de question que je les reçoive dans un lieu indigne, insiste la responsable du centre. Nous voulons encourager un processus de narcissisation. Comprenez que certains usagés particulièrement marginalisés ne rencontrent personne d’autres que des membres de l’équipe ». Ou l’art de retrouver un égo quand partout, la société vous explique que vous êtes sa lie.

Avouons que pour envisager une éventuelle discussion autour du sevrage et de la consommation, les conditions semblent plus favorables dans ces centres que dans la rue ou les squats. Mais c’est vrai, ce n’est pas l’objectif premier de ces lieux, où il s’agit de respecter le choix de l’usager et d’adapter le suivi en fonction des besoins qu’il formule lui-même.

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Francine Gatto, responsable du Caarud : « On travaille sur les pratiques, cela prend beaucoup de temps. L’usager passe un premier entretien d’accueil, on y parle de réduire la consommation si c’est le souhait qu’il exprime »


"Je pourrais aller chez le médecin..."

Riley reçoit des prescriptions de méthadone dans ce Caarud. « Je pourrais aller chez le généraliste, j’ai la CMU, mais je viens ici », raconte la jeune femme. Elle a 33 ans, vivait dans la rue et consommait de l’héroïne il y a un an encore, avant de pousser les portes de ce centre et de rencontrer Nadia, l’assistante sociale. Des gouttelettes perlent sur ses pommettes, elle s’en excuse. « C’est le manque », précise-t-elle.

Elle vient ici trois fois par semaine pour avoir son traitement de substitution, discuter avec la psychologue, les usagers, l’équipe. « C’est quand même mieux que d’aller chez le médecin et de rester couchée sur mon lit à rien faire, ou de prendre plusieurs médicaments sans savoir où j’en suis. Ici, on m’apprend à gérer ».

Elle veut aller en cure, raconte-t-elle, mais c’est encore trop tôt, lui a indiqué l’équipe. « Je suis entourée, c’est important. Je me connais, je suis en dépression, on m’a enlevé la garde de mon fils parce que quand j’allais le chercher, j’avais le visage tuméfié... La présence des gens ici, ça me fait du bien. » Cet après-midi, elle doit aller au tribunal pour tenter de récupérer ses droits parentaux. Elle stresse. Dans le Caarud, elle recueille les conseils de l’équipe et tente d’apaiser ses craintes mais quand elle évoque l’absence de son fils, son regard s’assombrit.

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Riley  : « Heureusement qu'il y a des associations et des lieux comme ça... »


C’est pour toutes ces raisons médicales, sociales, psychologiques que les salles ont ouvert, palliant les limites des Caarud qui ferment leurs portes le week-end en laissant les consommateurs dans la nature. Les Strasbourgeois connaissent ces dispositifs et leurs bénéfices : dans le pays limitrophe, en Allemagne, ils existent depuis une vingtaine d’années. Il ne reste plus qu’à les étendre dans d’autres villes françaises – Bordeaux s’était portée candidate – et, surtout, à leur trouver un autre nom que « salle de shoot ».

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