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QUESTION D'ACTU

Interview du week-end

«Il ne faut pas confondre les chiffres de la vaccination avec le niveau d'adhésion aux vaccins!»

De vraies réserves vis à vis des vaccins anti-Covid et des thérapies géniques chez les moins de 45 ans : c'est ce que montre une étude réalisée par le cabinet APCO*. L'analyse de ces résultats surprenants par son directeur "santé", Alexandre Marie Saint Germain.

\ Abdullah Kilinc/iStock




L'ESSENTIEL
  • 52% des personnes interrogées par APCO croient à au moins une théorie complotiste sur les vaccins anti-Covid
  • 34% considèrent que "le gouvernement cache les effets indésirables" des vaccins
  • Selon cette étude, 52% refuseraient de recevoir une thérapie génique

- Pourquoi Docteur : Alors que le Téléthon vient de remporter un nouveau succès et que la campagne de la 3è dose de vaccination est lancée, votre cabinet publie une enquête qui montre que, pourtant, sur les thérapies géniques comme sur les vaccins anti-Covid, les Français sont plus que réservés. Ces résultats vous ont-ils étonné ?

Alexandre Marie Saint Germain : En constatant le degré de réticence de la population française face à la campagne de vaccination au premier semestre 2021, notre intuition nous a amenés à penser que cela ne pouvait pas être uniquement lié aux vaccins et que c’était la manifestation de quelque chose de plus structurel. Nous avons lancé le projet de cette étude après l’annonce du pass sanitaire, au moment où l’on a pu se dire « tout est bien qui finit bien » puisque l’on a eu un très beau pourcentage de vaccinations et que l’affaire semblait terminée. Nous nous sommes dit alors « attention, il y a peut-être quelque chose que l’on n’a pas vu ».

Les résultats de notre sondage ont tendance à confirmer cet aspect structurel mais on a tout de même été surpris par l’ampleur du problème, la prégnance de ce que l’on appelle les théories du complot sur les vaccins, cela malgré une campagne de promotion qui avait été peut-être la plus grande campagne de promotion d’un produit de santé, du jamais vu ! Et nous avons été aussi un peu étonnés par la corrélation des réponses, cet aspect groupe idéologique pro ou anti-innovation et cette fracture générationnelle à laquelle on ne s’attendait vraiment pas avec une population des moins de 40 ans très sensible aux théories du complot et avançant des opinions antagonistes à l’innovation pharmaceutique alors que les plus de 45 ans se montraient beaucoup plus optimistes vis-à-vis de ces innovations.

- Comment expliquez-vous que les plus jeunes que l’on pourrait imaginer davantage ouverts à l’innovation semblent être les plus réticents ?

Nous avons testé évidemment d’autres caractéristiques socio professionnelles pour vérifier mais il n’y a vraiment que l’âge qui montrait de façon claire une vraie différenciation entre les opinions. La seule autre caractéristique, mais qui est importante, c’est la confiance accordée par les moins de 45 ans aux réseaux sociaux pour obtenir des informations en matière de traitements et sur les thérapies géniques en particulier. C’est un marqueur très fort de cette population-là puisque les théories du complot se diffusent généralement davantage sur ces réseaux sociaux.

- Cela illustre une perte de confiance vis à vis de la communication officielle, ou un excès de communication qui serait devenu suspect ?

Le gouvernement a fait preuve de beaucoup d’ambition et a trouvé de l’aide auprès des professionnels de santé pour communiquer sur les vaccins. Je pense que ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu tellement d’informations sur le vaccin dont on a parlé constamment et sur tous les canaux de communication que cela a pu créer une certaine confusion. Surtout que ces informations évoluaient régulièrement et que cela a accru cette confusion, avec en plus la « concurrence » des réseaux sociaux qui, eux, avaient le mérite de la stabilité en disant toujours la même chose.

Mais il y a aussi, et on le retrouve avec la situation dans laquelle on se trouve avec le « rappel » vaccinal, une communication qui était très optimiste surtout sur la fin de l’année 2020 sur les vaccins. C’était « vous allez voir, maintenant que l’on a les vaccins, tout va aller bien ». Et début 2021, quand on a commencé à avoir les premiers résultats sur les effets indésirables, on a perçu une sorte de désillusion vis-à-vis de ces vaccins. Cela n’a pas empêché une grande partie de la population d’y adhérer. Mais plus on a été optimiste au début, plus le fait de dire qu’en fait ces vaccins n’étaient pas efficaces à cent pour cent et qu’en plus il y avait des effets indésirables possibles a conduit certains vers le sentiment d’avoir été floués. C’est bien ce que l’on voit dans la campagne de « rappel » avec beaucoup de réactions sur le thème « on nous disait qu’après deux doses c’était fini et maintenant on nous en demande une troisième ».

- Votre sondage a été réalisé avant l’annonce de la dose de « rappel ». S’il était réalisé aujourd’hui, les réponses montreraient-elles encore plus de défiance ?

Potentiellement, oui.

- Au-delà du sujet des vaccins, votre enquête montre aussi une confiance des plus jeunes dans les médecines alternatives, comme l’homéopathie, et une défiance équivalente dans les nouveaux traitements mis au point par les laboratoires. C’est une remise en cause de l’industrie pharmaceutique ?

Ce que l’on a vu sur l’innovation pharmaceutique d’une manière générale, c’est qu’il y a comme une remise en cause du lien entre cette innovation et la science. Soit parce que l’on considère que l’industrie pharmaceutique dévoie la science, ne l’utilise pas à bon escient, voire ment, soit parce que la science en tant que telle n’est plus considérée comme un élément crucial dans le débat. Et cela, c’est une tendance que l’on peut voir aux Etats-Unis mais qui s’importe très facilement et qui est l’ère de la « post-vérité ». Au final, le fait qu’il y ait un effet clinique ou qu’il y ait quelque chose de scientifique derrière n’est plus pris nécessairement comme quelque chose qui clôt de débat. C’est important parce que durant plusieurs décennies, on est partis du principe que si un médicament innovant prouvait son efficacité, sauvait des vies, par définition il allait être adopté par les populations. Et là on se retrouve face à un vrai changement de paradigme puisque même une révolution thérapeutique peut être remise en question parce que l’état d’esprit a changé vis-à-vis de l’innovation thérapeutique et pharmaceutique.

- Plusieurs affaires ont mis en cause les laboratoires ces dernières années. Ceci explique cela ?

Ces affaires ont certainement eu un effet mais je crois que ce n’est pas la seule clé de compréhension. D’une part ce scepticisme touche les jeunes générations qui n’ont pas toutes le recul pour bien connaître ces affaires. Et d’autre part, une clé de compréhension qui peut être intéressante c’est que pendant longtemps, même si cela commence à changer, l’industrie pharmaceutique était une industrie dont on voyait peu les collaborateurs, c’était un univers de structures assez monolithiques et cela a pu laisser de l’espace à beaucoup de fantasmes vis-à-vis de comment ces gens travaillent et quelles sont leurs véritables intentions. Lorsque l’on travaille avec des personnes qui sont dans ces industries, on se rend compte qu’elles ont à cœur d’améliorer la santé des gens. Mais il y a toujours un manque de perception de ce que fait vraiment l’industrie pharmaceutique aujourd’hui.

- Dans ce qui s’exprime à travers votre sondage, il y a une défiance sur les vaccins mais aussi sur les thérapies géniques. Certains disent même qu’ils refuseraient d’être soignés avec ces thérapies. Pourtant le dernier Téléthon a vu les dons augmenter et ces thérapies sont présentées comme des avancées importantes, notamment dans le cancer. Pourquoi ce paradoxe ?

Pour le Téléthon, l’augmentation des dons qui est très positive ne veut pas forcément dire qu’il y a plus de personnes en faveur de la thérapie génique. D’abord parce que l’ampleur des dons n’est pas forcément corrélée au nombre de donneurs et aussi parce que ce qui est mis en lumière c’est la recherche médicale pour les maladies rares. On est sur un positionnement lié à une opération qui est menée par une association de patients qui a une très forte légitimité et une très bonne image. C’est un état d’esprit complètement différent de celui qui prévaut lorsque l’on répond à froid sur la technologie en tant que telle.

A propos de l’utilisation des thérapies géniques dans le cancer, il faut souligner que les réponses sur la thérapie génique sont très hypothétiques, on n’a pas demandé aux personnes interrogées si elles étaient malades. Il faut séparer les cas de figure où il y a un pronostic vital qui est engagé et dans ce cas on a peu de doutes que le patient, in fine, accepte cette thérapie et les cas de figure où les patients, et c’est le cas pour de nombreuses thérapies géniques qui sont en train d’être mises sur le marché, sont atteints de maladies chroniques gérables avec des traitements qui restent lourds mais sans avoir un pronostic vital engagé à court terme. Il y a certainement dans les réponses données à notre enquête des personnes qui sont dans cette situation et qui sont convaincues, ou même qui ont été convaincues par des proches, que les thérapies géniques pouvaient entraîner des mutations génétiques chez leurs descendants et dans ce cas, on pourrait très bien être dans une situation où la personne se dit « j’ai le choix entre me guérir moi-même avec une thérapie génique ou avoir des enfants sans y recourir parce que ce serait trop risqué ».

- Beaucoup de personnes interrogées dans votre enquête redoutent les dérapages éthiques avec les thérapies géniques. La science ne va-t-elle pas trop vite dans ce domaine ?

Plus que de vitesse de la science, parlons de vitesse de l’imagination ! A cause des caractéristiques des thérapies géniques, de leur complexité, du fait qu’elles sont loin de la sphère du quotidien des personnes et surtout qu’elles amènent l’idée que l’on pourrait modifier sans limites le corps humain, on a tendance à parler beaucoup plus de ce qu’il serait possible de faire éventuellement avec ces thérapies plutôt que parler de ce qu’il est possible de faire maintenant grâce à l’innovation pharmaceutique. Quand on regarde comment on parle de la thérapie génique depuis plusieurs années, les articles qui fonctionnent le mieux portent souvent sur des expériences en laboratoire comme CrispR-Cas-9 (les « ciseaux génétiques, NDLR), sur des travaux qui se font dans des pays qui font peur. Cela crée un imaginaire autour de cette thérapie alors qu’elle consiste aussi en des traitements qui ont des effets très concrets aujourd’hui et qui sont validés par des essais cliniques et très surveillés par les autorités réglementaires.

- Vous posez vous-même la question après ce sondage de savoir si les anti-vax d’aujourd’hui seront les opposants de demain aux thérapies géniques. Vous avez une réponse ?

Lorsque l’on regarde les personnes qui croient dans les théories du complot à propos des vaccins et celles qui sont très antagonistes vis-à-vis des thérapies géniques et de l’innovation thérapeutique en général, il y a une corrélation très forte des réponses. C’est un peu le signe d’un fossé qui se creuse entre ces deux positionnements, pro ou contre l’innovation thérapeutique. C’est assez dangereux parce que l’on se retrouve sur des choix presque politiques ou idéologiques plus que sur des choix rationnels.

Il n’y a pas de lien de causalité révélé par l’étude parce que l’on n’avait pas de chiffres avant, mais la crise Covid a eu un effet moteur sur deux points. D’abord un biais de confirmation pour ceux qui avaient déjà une opinion négative envers les vaccins et les innovations thérapeutiques et qui se sont dit « regardez tous ces effets indésirables, c’est bien qu’ils représentent un danger ». Et surtout, ce qui a été assez incroyable avec ce que l’on a vécu, c’est que l’ensemble de la population a été « forcée » de prendre position sur les vaccins. C’est devenu un débat omniprésent dans les familles, les groupes d’amis, et cela a fait entrer beaucoup de personnes qui n’avaient pas forcément une opinion dans une dynamique où il fallait choisir son camp. Et on peut craindre qu’à partir de cela il y ait une sédimentation des opinions.

- Cette sédimentation peut-elle être renforcée par les contraintes imposées par les pouvoirs publics, comme le pass sanitaire ?

Ce qui est certain, et c’est un des points que l’on peut souligner face aux résultats de notre étude, c’est qu’il ne faut pas confondre le taux de vaccination actuel avec une adhésion aux vaccins ! C’est ce que certains ont eu tendance à faire, mais en réalité la situation est beaucoup plus complexe. C’est en raison du pass sanitaire que l’on a ce taux de vaccination mais cela veut dire aussi que beaucoup se sont fait vacciner en traînant les pieds voire en étant au fond d’eux contre ces vaccins.

- Votre étude montre-t-elle que la France ne serait plus un terrain favorable pour les acteurs de l’innovation thérapeutique ?

Actuellement les responsables politiques en place sont plutôt favorables à l’accès à l’innovation. Mais si jamais demain nous sommes face à une population qui est majoritairement méfiante vis-à-vis de ces innovations, est-ce que ces sujets auront toujours la même priorité ? Comme on le voit aux Etats-Unis, on peut se retrouver à terme face à des parlementaires élus sur une base idéologique anti-science ou anti-innovation pharmaceutique. Et au moment du choix par les biotechs du lieu où elles s’établissent ou lancent leurs produits, elles pourraient légitimement se poser la question de savoir si la France est bien le pays où leur activité sera plus facile. On ne peut évidemment pas juger de l’attractivité de la France sur notre seule étude, mais celle-ci est une pierre du côté d’un risque dans ce domaine.

Cette étude a été réalisée par le département d’étude d’APCO Worldwide en partenariat avec la plateforme de recherche Dynata au troisième trimestre 2021 sur un échantillon de 1000 personnes âgées de plus de 18 ans, représentatif de la population française.

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