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Pr Renaud Piarroux

Choléra en Haïti : l'aveu de l'ONU était inévitable

ENTRETIEN - L’ONU a admis on implication dans l’épidémie de choléra en Haïti. Le Pr Piarroux est à l’origine du rapport pointant en 2010 la responsabilité des Casques bleus.

Choléra en Haïti : l'aveu de l'ONU était inévitable CHESNOT/SIPA




Janvier 2010. Haïti subit l’un des pires séismes de son histoire. Plus de 220 000 personnes perdent la vie ; un million et demi de sinistrés s’entassent dans des camps de fortune. Mais l’île n’est pas au bout de ses peines. En octobre, une épidémie de choléra se déclare, d’une violence inouïe. En quelques jours, des milliers de personnes sont infectées simultanément. Cent d’entre elles meurent quotidiennement.

Six ans et 10 000 morts plus tard, l’ONU a reconnu ce vendredi sa responsabilité dans cette épidémie. Les Casques bleus népalais sont en effet à l’origine de l’introduction de la bactérie sur l’île, qui y avait jamais été présente. Les eaux usées d’un camp de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti), chargées de matières fécales contaminées, ont été déversées dans une rivière qui se jette dans l’Artibonite, fleuve dont une partie de la population boit l’eau.

Pour prouver cela, il a fallu une certaine ténacité. Le Pr Renaud Piarroux n’en manque pas. Cet épidémiologiste, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, est à l’origine du rapport pointant dès 2010 la responsabilité de l’ONU. Il raconte les conditions dans lesquelles ces travaux ont vu le jour et permis à la vérité d’émerger. 

 

Comment avez-vous été amené à travailler sur cette épidémie ?

Renaud Piarroux :
En octobre 2010, dès les premiers cas, j’ai été missionné par l'ambassade de France et le ministère de la Santé haïtien pour enquêter sur l’origine de l’épidémie. Tout le monde s’interrogeait sur ses causes mais personne ne cherchait vraiment à les déterminer. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la Pan American Health Organization (PAHO) disaient àl'époque que cela ne servait à rien de se pencher sur l’origine et qu’il fallait mieux se concentrer sur la prise en charge.

Très rapidement, l’hypothèse environnementale a été mise en avant. D'éminents chercheurs ont expliqué que l’épidémie était liée au réchauffement climatique et au tremblement de terre qui avait rendu les populations vulnérables. Les autorités haïtiennes, elles, ont disposé très tôt d’informations incriminant le camp népalais situé à Mirebalais (centre du pays), mais elles étaient contraintes au silence, étant donnés les enjeux politiques et diplomatiques. Par ailleurs, quelques journalistes ont identifié des problèmes sanitaires importants au niveau des toilettes de ce camp et effectué des reportages sur le risque de contamination d'une petite rivière en aval du camp. C’est dans ce contexte que l’on m’a demandé de réaliser une enquête scientifique.

 

Les autorités haïtiennes vous ont donc missionné pour que vous prouviez ce qu’elles ne pouvaient pas dire ?

Renaud PiarrouxEn quelque sorte. Elles m’ont facilité le travail en me donnant accès à certaines informations (dossiers médicaux...). Alors que je devais rester dix jours sur place, le président de la République d'Haïti m’a demandé de poursuivre les investigations dix jours de plus. Mais elles ne m’ont pas tout dit non plus. En octobre 2010, une compagnie haïtienne avait passé un contrat avec l'ONU afin de vider régulièrement les fosses septiques des camps. Le 16 ou le 17 octobre, un chauffeur arrivé sur place, près du village de Meille, réalise que le lieu prévu pour déverser sa citerne déborde déjà. Il passe un coup de fil à son chef, qui lui dit de tout balancer là où il pouvait, y compris dans la rivière. Le ministère de la Santé haïtien connaissait cette information, mais ne me l’a communiquée qu’en 2013. 

Outre le contexte diplomatique, la situation politique était explosive. Nous étions alors en pleine campagne présidentielle. Les autorités craignaient des émeutes, si l’on révélait le rôle de l’ONU dans l’épidémie ; les Nations Unies aussi agitaient aussi ce chiffon rouge. J’ai donc attendu que le premier tour de l’élection passe. Mon premier rapport a alors fuité, démontrant que la contamination provenait bien du camp népalais. Par la suite, des biologistes du Népal ont mis à disposition leurs souches qui ont été comparées avec celles présentes sur l’île, corroborant mes conclusions.


L’ONU a-t-elle entravé votre travail ?

Renaud Piarroux : 
En tout cas, l’ONU a tout fait pour privilégier l’hypothèse environnementale et pour entretenir un doute, jusqu’à falsifier les premières données épidémiologiques. Dans la cartographie de l’épidémie, l’Office de Coordination des Affaires Humanitaires a ainsi modifié la légende de ses premières cartes pour faire démarrer l’origine de l’épidémie au niveau du delta de l’Artibonite, afin d’écarter tout soupçon - cela a été prouvé par la suite. Par ailleurs, personne n’a jamais pu avoir accès aux dossiers médicaux des Casque bleus népalais, ni pénétrer à l’intérieur du camp.

A l’époque, j’ai pu rencontrer les médecins militaires qui revenaient du camp népalais. Ils m’ont expliqué qu’ils y avaient réalisé des analyses dans les latrines et que les prélèvements étaient stériles. Des toilettes stériles, on n’a encore jamais vu ça !

Pourquoi l’ONU admet-elle aujourd'hui sa responsabilité ?

Renaud Piarroux : Il y avait au sein de l’ONU de fortes divisions sur la question. Petit à petit, un certain nombre de personnes ont réalisé que la position des Nations Unies était devenue intenable face à ce faisceau de preuves. La sortie d’un livre, Deadly River, Cholera and Cover-Up in Post-Earthquake Haiti, a précipité l’aveu. L’auteur y décrit comment l’ONU, avec l'aide des CDC américains (Centres de contrôle et de prévention des maladies) a camouflé sa responsabilité.

Ce livre, pour lequel j’ai été longuement interrogé, a été lu avec attention dans les plus hautes instances de l’ONU, qui a dû sortir de son silence. Il en allait de l’image des Nations Unies et de la confiance que les populations placent en elles. Une organisation comme celle-ci ne peut se permettre d’entretenir ce genre de doutes.

Avec cette reconnaissance, même du bout des lèvres, la lutte contre l’épidémie devrait entrer dans une nouvelle phase. Les cas sont repartis à la hausse ces derniers temps, faute d’investissements financiers. Depuis quelques semaines, l’Unicef et l’OMS rédigent un plan de lutte contre l’épidémie. Il doit fixer les moyens techniques et économiques à mettre en œuvre pour stopper la propagation en améliorant en premier lieu l’accès à l’eau potable, notamment dans les communes les plus vulnérables.

 

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