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QUESTION D'ACTU

Dépression, troubles anxieux, épisodes maniaques

Andreas Lubitz : les médecins pouvaient-ils lever le secret medical ?

Témoignages et documents semblent confirmer qu' Andreas Lubitz souffrait de dépression sévère. Les médecins qui le traitaient auraient-ils pu lever le   secret médical ?

Andreas Lubitz : les médecins pouvaient-ils lever le secret medical ? Jeremy Bycz/SIPA




« L'action ne peut être que volontaire ». Depuis les déclarations du procureur de la République de Marseille jeudi midi, l’attention s'est focalisée sur le copilote de l’Airbus A320 qui s’est crashé mardi dans les Alpes, faisant 150 morts.

Andreas Lubitz avait 28 ans. Selon les premiers éléments de l’enquête, c’est lui qui a délibérément précipité l’avion sur le flanc de la montagne. L’analyse des boîtes noires a en effet permis de retracer les minutes précédant la mort des passagers et du personnel naviguant.

« Une volonté de détruire cet avion »,
Le jeune Allemand aurait profité de l’absence du pilote, sorti du cockpit afin de soulager un besoin, pour verrouiller la porte de l’habitacle et enclencher la descente de l’avion. Sans bruit, sans revendication, « la respiration régulière » – ce qui écarte l’hypothèse d’un malaise. Si le procureur évite soigneusement d’employer le mot « suicide », préférant évoquer « une volonté de détruire cet avion », la piste est très sérieusement envisagée – d’autant plus qu’aucun élément ne permet d’établir, pour le moment, un mobile terroriste.

On en sait aujourd'hui un peu plus sur le profil d’Andreas Lubitz. Le jeune copilote était originaire de Montabaur, une petite ville située en Rhénanie-Palatinat, dans l’ouest de l'Allemagne. Il avait été embauché en septembre 2013 par la compagnie allemande Germanwings, après avoir passé avec succès ses tests techniques et médico-psychologiques.

Une dépression cachée
Pourtant, le quotidien allemand Bild a révélé qu'Andreas Lubitz avait des antécédents psychiatriques. Il aurait ainsi souffert d’un « épisode dépressif majeur » il y a six ans, ayant nécessité un séjour en hôpital. Il suivait aussi, selon le journal, un traitement psychiatrique, et avait dû interrompre quelques temps sa formation de pilote en raison de faiblesses psychologiques. Sur sa licence figure le code « SIC », indiquant la nécessité d' « examens médicaux réguliers spéciaux ». Le jour de la catastrophe, le jeune homme aurait dû être en arrêt maladie. Des formulaires ont été retrouvés, déchirés, lors de la perquisition à son domicile.

L'ancienne compagne du copilote a confirmé dans un entretien au quotidien allemand qu'Andreas Lubitz souffrait de dépression et suivait un traitement en conséquence. Il aurait mis fin à ses jours, estimant que sa maladie serait un frein à sa carrière, pense-t-elle. Ces derniers mois, le copilote avait des comportements de plus en plus étranges. Elle relate une conversation au cours de laquelle Andreas Lubitz aurait déclaré : « Un jour, je vais faire quelque chose qui va changer tout le système et tout le monde connaîtra mon nom et s'en souviendra. »

Selon Le Parisien, le copilote  souffrait également de troubles anxieux généralisés et prenait plusieurs traitements pour réguler son humeur et calmer ses épisodes maniaques. « Au milieu d’une conversation, il pouvait se mettre à hurler, », relate son ex-compagne en ajoutant: « La nuit, il se réveillait en criant qu’il s’écrasait. Je suis persuadée qu’il savait que son parcours de pilote était terminé. » D'autant que ses problèmes de vue altéraient ses chances de pouvoir piloter pendant longtemps. Ainsi, le rêve d'Andreas Lubitz d'être aux commandes d'un avion se transformait inexorablement en cauchemar. 

Les médecins auraient-ils pu intervenir ?
La question de la levée du secret médical est alors posée. Si les médecins peuvent être poursuivis s'ils ont enfreint cette règle absolue, la médecine du travail  peut effctuer des signalements dans des circonstances particulières. « On signale des choses qui sont dangereuses immédiatement et il arrive qu'on prévienne l'employeur dans un cadre comme celui-là », a rappelé le psychiatre Antoine Pelissolo à nos confrères de Francetv info. Interrogé au 20 H de TF1, le Pr Bernard Debré, député et urologue,  s'est dit, lui,  « très favorable à ce qu'on le brise quand il y a un danger ».

En France, le secret médical s'impose à tous les médecins. « Il couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce que lui a confié son patient, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris », précise l'article 4 du code de déontologie médicale, (article R.4127-4 du code de la santé publique). 

Si ce code n'a pas envisagé toutes les situations, quelques dérogations ont été prévues. L' article L.3211-6, 1er alinéa précise, par exemple, que « le médecin qui constate que la personne à laquelle il donne ses soins a besoin, pour l'une des causes prévues à l'article 425 du code civil, d'être protégée dans les actes de la vie civile peut en faire la déclaration au procureur de la République du lieu de traitement. Cette déclaration a pour effet de placer le malade sous sauvegarde de justice si elle est accompagnée de l'avis conforme d'un psychiatre.». Difficile de dire si cette dispostion aurait pu s'appliquer à Andreas Lubitz s'il avait été de nationalité française. D'autant que les éléments de l'enquête ne permettent pas d'affirmer aujourd'hui que le pilote n'a pas menti aux médecins sur sa profession.


Un « suicide altruiste » ?


Si suicide il y a, de très nombreuses questions émergent. Pourquoi emporter tant de vies avec la sienne ? Pourquoi choisir ce mode pour mettre fin à ses jours ? Pas de réponse, a priori, devant l’insensé. De fait, ce que l’on nomme en psychiatrie le « suicide altruiste » ne semble relever d’aucun schéma rationnel, mais de ressorts psychologiques bien particuliers.

« Au cours d’un tel acte, la personne est envahie par une idée – de ruine, de menace, de culpabilité…, explique Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du centre médico-psychologique au CHU de Clermont-Ferrand. Alors, elle ne voit pas d’autre solution que de programmer sa mort et celle de son entourage. Elle ne réalise pas, sur l’instant, le drame humain que peut représenter la mort de 150 personnes. Il y a une perte des échelles de valeur. »

Pr Pierre-Michel Llorca, chef du service de psychiatrie du centre médico-psychologique, au CHU de Clermont-Ferrand : « On retrouve cela dans des suicides altruistes où des parents décrits comme aimants tuent leurs enfants… ». 



« Autopsie psychologique »
Ces « épisodes de dépression intense », comme le décrivent les spécialistes, échappent donc à toute logique. Nul traumatisme d’enfance ou blessure mal cicatrisée ne saurait les expliquer, puisqu’ils relèvent d’une pathologie qui s’exprime à un instant T dans sa forme la plus aiguë.

Certains éléments peuvent toutefois évoquer une dépression. Pour déterminer si, dans le cas du crash de l’avion, il s’agit bel et bien d’un suicide altruiste, une autre phase de l’enquête a démarré : l’autopsie psychologique. « Les enquêteurs interrogent les personnes de son entourage pour tenter d’identifier quels étaient ses comportements avant le drame », précise Pierre-Michel Llorca.

Pr Pierre-Michel Llorca : « Il est possible d’identifier a posteriori ces états psychologiques. »



Les compagnies à l’affût des faiblesses psychologiques

Comme tous les pilotes, Andreas Lubitz a passé les examens d’embauche des compagnies aériennes, qui permettent aux instructeurs d’évaluer la technique et les traits psychologiques des candidats, leur faculté à travailler de manière collective et à répondre rapidement à des situations de stress. Tous les ans, afin de renouveler leur licence, les pilotes subissent une batterie de tests médicaux – cardiaques, pulmonaires, auditifs, urinaires… – et comportementaux.

« Nous n’avons pas de suivi psychologique à proprement parler, mais certains examens permettent de révéler d’éventuelles fragilités psychologiques, explique Pierre Lemoine, 51 ans, pilote à Air France. Par exemple, nous réalisons quatre fois par an une séance de simulation de vol de trois heures et demie. Les conditions sont très stressantes et la performance est étroitement liée à la santé mentale. Je me souviens d’un jeune pilote tombé dans un état dépressif : cela s’était très vite vu au simulateur. »

Au cours des visites, et à travers des questions simples, les examinateurs s’assurent notamment que le pilote apprécie toujours son travail. « Il faut de l’enthousiasme et une certaine vivacité pour ce métier, précise Pierre Lemoine. Sinon, le quotidien devient assez difficile… Vous trouverez très longues les nuits en l’air en long courrier, et difficiles les levers matinaux suivis de quatre étapes de vol… »

Pour Pierre Lemoine, cela ne fait pas de doute : « Il n’y a pas besoin de davantage de contrôles. Nous sommes l’une des professions les plus médicalement surveillées », rappelle-t-il. D’ailleurs, malgré cette vigilance, l’instance indépendante qui délivre les certificats annuels d’aptitude physique et mentale, le CEMPN, ne saurait tout déceler chez les pilotes.

« Une médecine vétérinaire »
D’une part, ces derniers ne subissent pas d’examen psychiatrique de routine, sauf en cas d’antécédents ou d’événement traumatique, comme le décès d’un passager à bord. Ces examens seraient par ailleurs difficiles à mettre en place d’un point de vue pratique, et assez peu légitimes.

D’autre part, les troubles psychologiques et physiques sont très probablement sous-estimés. « La médecine aéronautique est une médecine vétérinaire ! sourit le médecin Henri Marotte, qui a dirigé le laboratoire de médecine aérospatiale du centre d'essais en vol, et enseigne la médecine aérospatiale à l'Université Paris Descartes. Comme l’animal, le patient ne dit rien. Il a peur qu’on lui retire sa licence. Il n’existe aucune catégorie de personnes qui explique aller aussi bien ! »

De fait, cette médecine est avant tout déclarative : elle repose sur ce que le patient accepte de révéler – et c’est encore plus vrai pour les troubles psychiatriques. En ce sens, renforcer les contrôles semble vain : il est toujours possible de dissimuler un mal-être... « La sélection et la surveillance en France sont réputées très rigoureuses. De même pour l’Allemagne. Malheureusement, on ne pourra jamais tout détecter… »

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