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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

Vapotage : «Les scientifiques manquent de recul sur ses effets à long terme»

Epidémiologiste à l’Inserm, Maria Melchior décrypte les enjeux de la cigarette électronique, de la dépendance à la nicotine aux potentiels risques pour la santé, en passant par son impact chez les plus jeunes et son rôle dans le sevrage tabagique.

Vapotage : \ EyeEm Mobile GmbH / istock




Directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Maria Melchior est épidémiologiste, spécialiste des questions de santé mentale et de conduites addictives.

- Pourquoi Docteur : peut-on parler d'une "nouvelle vague d'addiction" à la cigarette électronique, comme le suggère l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

Maria Melchior : En réalité, l'addiction à la nicotine n'a rien de nouveau. La cigarette électronique est simplement une nouvelle forme de diffusion de cette substance, au même titre que le tabac à chiquer, le snus ou le tabac chauffé. Techniquement, on parle d'ailleurs de "systèmes électroniques de diffusion de la nicotine". Ce n'est donc pas l'appareil en lui-même qui crée la dépendance, mais la nicotine qu'il contient. Si l'on vapote sans nicotine, il n'y a pas d'addiction.

- La "vape" peut-elle être une aide efficace pour arrêter de fumer ?

Oui, mais la question reste complexe. Selon les données de Santé publique France, la cigarette électronique est devenue la méthode la plus utilisée pour arrêter de fumer, devant les patchs ou les consultations chez un tabacologue. Des études cliniques, notamment des revues Cochrane, considèrent même qu'elle est aussi efficace, voire plus, que les substituts nicotiniques classiques.

Il faut toutefois préciser que ces recherches se font dans des contextes expérimentaux, avec des participants très motivés pour arrêter de fumer et suivis médicalement sur plusieurs semaines. Dans la vie réelle, la situation est plus nuancée. D'après les données de la cohorte Constances, qui a suivi des fumeurs et des non-fumeurs sur le long terme, les vapoteurs arrêtent plus souvent de fumer que ceux utilisant d'autres méthodes, mais leur risque de rechute est aussi plus élevé. En cause : le maintien d'une dépendance physique à la nicotine et d’une dépendance psychologique au geste, ainsi que l'absence d'encadrement médical.

Si des études toxicologiques [sur le vapotage] existent, les données épidémiologiques sur 15 ou 20 ans ne sont pas encore disponibles.

- La cigarette électronique est-elle vraiment sans danger ? Que disent les études ?

Elle est beaucoup moins nocive que la cigarette traditionnelle, surtout en l'absence de combustion, responsable des principaux risques liés au tabac (goudrons, produits chimiques). Les risques documentés concernent surtout des effets pulmonaires ou des accidents techniques (explosions, brûlures), généralement liés à des produits non homologués ou au vapotage de substances comme le cannabis. Toutefois, les scientifiques manquent de recul sur les effets à long terme de la cigarette électronique. Si des études toxicologiques existent, les données épidémiologiques sur 15 ou 20 ans ne sont pas encore disponibles. Il n’y a pas d’étude clinique parce que ce n’est pas un médicament, mais un produit de consommation courante.

- Certaines études pointent des risques cardiovasculaires, pulmonaires ou buccodentaires avec le vapotage intensif. D’autres évoquent encore des risques de diabète et même de cancers. Faut-il s'en inquiéter ?

Ces travaux méritent notre attention, mais leurs résultats sont souvent biaisés : les vapoteurs sont fréquemment d'anciens gros fumeurs ou des fumeurs actuels. Ils cumulent donc des expositions au tabac, ce qui complique l'interprétation des données. En comparaison, une cigarette fumée double ou triple le risque d'infarctus du myocarde. Pour l'instant, aucune étude n'a montré un tel effet pour la vape. Dans quelques années, des essais cliniques pourraient certes montrer des effets délétères à long terme, mais sans doute pas de la même ampleur que le tabac.

- Est-ce mieux de vapoter tout au long de la journée ou de fumer une cigarette par jour ?

Il n'y a pas de réponse tranchée. Vapoter en continu expose à la nicotine, ce qui peut nuire au sommeil ou à l'humeur. Mais fumer une cigarette par jour fait courir un risque cardiovasculaire avéré. Il faut donc plutôt raisonner en termes de réduction des risques et viser un sevrage progressif.

Le risque, c’est que la cigarette électronique constitue une porte d’entrée vers la cigarette.

- Que sait-on vraiment de la composition des liquides de vapotage, chauffés et inhalés ?

Ce sont des produits chimiques, et bien que leur composition soit connue, elle n'est pas toujours clairement affichée ni réglementée comme celle des médicaments ou des aliments. Les moyens de contrôle sont limités et varient selon les circuits de distribution. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est chargée d'établir des normes, mais le contrôle reste partiel, notamment pour les produits achetés en ligne.

- Le vapotage passif est-il dangereux ?

Sans combustion, les risques du vapotage passif sont bien moindres que ceux du tabagisme passif. Cependant, les particules ultra-fines présentes dans la vapeur peuvent avoir un effet négatif, surtout dans des lieux confinés. Il est donc pertinent d'interdire la cigarette électronique dans les mêmes espaces que le tabac.

- Qu'en est-il du vapotage chez les jeunes ?

C'est un sujet préoccupant. Les dernières données de 2023 montrent que 7 % des 18-24 ans vapotent. Pour cette tranche d'âge, il ne s'agit pas d'une aide à l'arrêt du tabac, mais plutôt d'une initiation à la nicotine. Le risque, c'est que la cigarette électronique constitue une porte d'entrée vers la cigarette, comme observé aux États-Unis où le vapotage a été suivi d'une hausse du tabagisme chez les adolescents.

- Quelles réglementations existent ou seraient à renforcer ?

L'accès aux produits nicotiniques est déjà interdit aux mineurs, mais les contrôles sont aléatoires. L'augmentation des prix pourrait être un levier efficace, comme pour le tabac. La publicité, notamment via les réseaux sociaux ou les produits culturels, reste un vecteur puissant mal encadré. Il faudrait aussi limiter les arômes trop attractifs pour les jeunes. Mais les politiques publiques interviennent toujours a posteriori... Le mal est déjà fait, au moins pendant un temps.

La nicotine reste une des substances les plus addictogènes, parfois plus que l’héroïne ou la cocaïne.

- L'impact du vapotage est aussi écologique...

Et il est bien réel : plastiques, piles, produits chimiques mal recyclés... Comme pour les cigarettes classiques, les déchets polluent l'environnement. Ce coût environnemental pourrait devenir un levier de prévention, notamment chez les jeunes, plus sensibles à ces enjeux.

- Quels conseils donner à ceux qui veulent arrêter de fumer avec la cigarette électrique ?

Il faut comprendre son rapport personnel au tabac : stress, habitude, identité... Le vapotage peut être un espoir pour ceux qui n'ont jamais réussi à arrêter. Mais sans accompagnement, il y a un risque de rester dépendant à la nicotine. Il serait donc utile d'établir des recommandations sur la réduction progressive des doses. La plupart des gens savent combien de liquides ils achètent, mais pas à quoi cela correspond en termes de nicotine. Enfin, il faut savoir que le sevrage physique de la nicotine dure quelques jours, mais qye le manque psychologique peut durer des mois. Il faut donc être très motivé. La nicotine reste une des substances les plus addictogènes, parfois plus que l'héroïne ou la cocaïne.

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