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L'avis de l'experte

Couple et jardin secret : "on n'est pas obligés de tout se dire, ni de tout partager"

Par Floriane Valdayron

Au sein du couple, tout n'est pas bon à dire, ni à entendre : c'est le point de vue de Claire Alquier, sexologue et thérapeute de couple. Plutôt que de tout livrer à l'autre, ce qui pourrait entraîner diverses conséquences parfois complexes à gérer, elle préconise de protéger certains éléments de son intimité, de son histoire. En somme, de cultiver son jardin secret, tout en donnant à la communication un rôle central. Entretien.

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- Mieux Vivre Santé : Qu'entend-on par la notion de jardin secret ?

Claire Alquier : C'est un espace personnel, individuel, dont la représentation est plutôt interne. Le jardin secret peut se traduire par faire des choses seul, mais je pense qu'il a davantage trait à ce qu'il se passe dans sa tête, au niveau fantasmatique et imaginaire. Par ailleurs, lorsqu'il est mis en pratique, il ne s'agit pas forcément de quelque chose qui serait transgressif, culpabilisant ou même punissable, mais que l'on fait pour soi, avec soi, et que l'on ne tient pas à partager. On le cultive de soi à soi. Par exemple, écrire des textes que l'on souhaite garder pour soi, avoir une passion dont on ne parle pas à son entourage… Plus largement, le jardin secret nous fait du bien, nous permet de nous évader, ou même de vivre des choses que l'on n'arrive pas à vivre dans le réel. 

Il peut aussi être lié à son passé, comme ses expériences et ses rencontres amoureuses : il y a des éléments qui se partagent et d'autres qui ont vocation à rester dans les souvenirs, dans l'intimité. Quand on rencontre un nouveau partenaire notamment, on n'est pas obligé de donner les détails sur absolument tout ce que l'on a vécu auparavant. De la même manière, on peut garder pour soi certains fantasmes, que ce soit parce que l'on ne se sent pas suffisamment à l'aise pour les révéler, parce que l'on a l'impression que l'autre ne sera pas assez ouvert pour les entendre, ou encore parce que l'on considère qu'ils nous appartiennent.

- Comment cultiver son jardin secret au sein du couple ?

Peut-être en le regardant avec une forme d'honnêteté, en reconnaissant : "Voilà vers quoi je vais, vers quoi je tends, finalement, voici ce qui m'appelle, me plaît, m'attire". Cela passe aussi par ne pas se juger, ne pas être trop dur avec soi, puis, se demander : "Si je fais la part des choses, que puis-je garder pour moi ?". Cultiver son jardin secret passe aussi par accepter que des chapitres de notre histoire n'appartiennent qu'a nous et que l'on n'est pas obligé de les partager : on en a tout à fait le droit, je pense même que c'est important.

- Pourquoi ?

Parce que j'ai souvent pu observer que, lorsque le jardin secret n'est pas assumé et mis un petit peu sous le tapis, il en ressort des frustrations, voire des pulsions. Le fait de considérer qu'il existe, qu'on a le droit d'en avoir un et qu'on peut le cultiver est beaucoup plus sain. Cela permet d'éviter de le vivre de manière culpabilisante, si tant est que l'on respecte la relation dans laquelle on est engagé et que l'on ne transgresse pas des valeurs fondamentales pour l'autre, évidemment. Ce n'est pas grave que l'autre n'ait pas la main mise sur son jardin secret ; ça se respecte. 

Le couple est constitué de deux individus différents, qui ont deux histoires, deux psychés, et deux passés distincts ; il faut en avoir conscience. Je comprends que l'on puisse être curieux de ce qu'il se passe du côté de son partenaire, mais on n'est pas obligé de tout se dire, ni de tout partager. Je pense sincèrement qu'il est important de protéger certaines choses, déjà pour soi, mais aussi pour l'autre : tout n'a pas vocation à être entendu. 

- Trop partager peut-il avoir des conséquences ? 

Oui, surtout au sujet des histoires passées. En consultation, j'ai souvent eu des personnes qui étaient curieuses du passé de l'autre, qui voulaient savoir s'il y avait beaucoup de comparaison possible, ce qui avait été vécu… Résultat : elles se sentaient très en danger, menacées, car leur partenaire avait eu plus d'expériences. Cela peut réveiller des complexes, mettre en compétition, et, de fait, en fragilité, alors qu'on pourrait se passer de ces informations.

- Une fois que l'on connaît une part trop importante du jardin secret de l'autre, comment avancer ?

Cela se travaille à deux : une fois que l'on est allé trop loin, on ne peut pas effacer ce que l'on a appris. Donc, s'il y a une mise en danger, il s'agit d'en parler, de la repérer, et d'identifier ce dont on a besoin pour sécuriser ce qui est fragile. Communiquer aide à mettre des mots sur ce qui est menaçant, sur ce qui est rassurant, et à voir comment rebondir et avancer ensemble. Quand on est en couple et qu'on construit une relation, on apprend à se connaître, donc c'est normal de se raconter, de donner des informations à l'autre : ça fait partie des choses agréables à partager. 

Néanmoins, il pourrait être intéressant de poser un cadre pour pouvoir le faire, d'apprendre à se livrer un petit peu avec habilité, en faisant attention à ce que l'on dit. On peut réfléchir à ce que l'on veut partager et à la manière de le faire. Par exemple, pour les histoires d'amour précédentes ou les expériences sexuelles, il s'agit de mesurer les mots que l'on veut employer et de ne pas rentrer dans les détails, ni de chiffrer. À mon sens, ce n'est pas nécessaire : on ne connaît pas mieux l'autre en ayant des données très "pratiques" et "techniques". En somme, il faut faire la part des choses : il y a des éléments à protéger, d'autres à communiquer.