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Pandémie

Coronavirus : face à un éventuel traçage des données, les politiques s'inquiètent du risque de dérives

Par Raphaëlle de Tappie

Alors que l'UE s'apprête à adopter une approche commune sur l'utilisation d'applications pour smartphones pour suivre la propagation de l'épidémie, de nombreux politiques ont fait part de leurs inquiétudes face à de possibles dérives. 

nicomenijes/iStock
Les données des téléphones mobiles en Europe doivent être utilisées pour suivre l'évolution de l'épidémie de Covid-19
Des élus redoutent que ce traçage soit maintenu après la crise sanitaire

Afin de venir à bout du coronavirus, l'Union européenne s'apprête à adopter mercredi 8 avril une approche commune sur l'utilisation d'applications pour smartphones pour suivre la propagation de l'épidémie, selon un document de la Commission européenne consulté par Reuters. Cette mesure prévoit en outre l’utilisation de données anonymes et agrégées pour retrouver ceux qui auraient été en contact avec d'autres personnes contaminées et leurs déplacements. Bien que le délégué général de la République en marche, Stanislas Guérni, se soit s'être dit favorable à ce genre d’outil à condition que leur mise en œuvre soit encadrée dans le temps, et que la Commission européenne ait assuré prévoir la destruction des données une fois l’épidémie jugulée, de nombreuses voix inquiètes se sont élevées chez les politiques. Même au sein de la majorité, on craint de possibles dérives. 

Le suivi des données des personnes infectées est une réponse dangereuse et condamnable. La collecte des informations personnelles des utilisateurs de téléphones mobiles ou de montres connectées revient à placer l’ensemble de la population sous bracelet électronique, et de les rendre, sinon coupables, à tout le moins tous suspects”, s’est notamment alarmé le député LREM Sasha Houlié dans une tribune au vitriol parue le 7 avril dans le Journal du Dimanche

Généraliser le suivi de la population excède, dans l’espace, dans le temps et dans la nature même de l’opération, tous les motifs d’intérêt général pouvant le justifier, même celui de la protection de la santé publique. Georges Orwell a-t-il vainement écrit? (...) Faire croire aux Français, ou même aux Européens, qu’il pourrait y avoir un tracking vertueux est, de mon point de vue, un mensonge. Cela reviendrait à capituler devant le savoir qui peut — nous le savons depuis longtemps — nous conduire à accepter petit à petit l’autoritarisme puis le totalitarisme”, s'inquiète le député de la majorité.

Une utilité incertaine 

C'est un changement de paradigme qui est trop important pour prendre cette décision en temps de crise, dans l'urgence, sans aucune consultation publique plus large. On serait en train d'en forcer l'acceptabilité sociale dans des conditions très particulières”, renchérit la députée des Français de l'étranger, Paula Forteza, citée par Franceinfo. Le député LREM du Val d'Oise Aurélien Taché appelle quant à lui à voir plus loin que l’épidémie : “Une fois la population habituée, ces mesures de traçage ne pourraient-elles pas perdurer ? Imaginez par exemple que le fisc se dise ‘on va surveiller tel ou tel contribuable, ses comportements, là où il va, ce qu'il achète, est-ce que c'est conforme à sa déclaration d'impôts?’ Les dérives sont infinies”, s'interroge-t-il.

D’autant plus que pour Sacha Houlié, au-delà de mettre en danger la démocratie, ces outils ne seront d’aucune utilité réelle pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. “Tout le monde n'est pas muni d'un smartphone ou d'une montre connectée et c'est précisément les populations les plus à risque, les personnes âgées, qui ont le moins ce type d'appareils”, interpelle-t-il ainsi. 

Des mesures radicales en Asie

En Chine, outre le confinement total et la détection systématique des cas, le contrôle des populations a permis de prévenir toute personne qui aurait été en contact avec un malade sans le savoir. Chacune de ces personnes a dû se placer en quarantaine totale, sous peine de prison. A Hong Kong, les voyageurs venant de l’étranger doivent porter un bracelet électronique relié à leur téléphone portable.  

À Singapour, les citoyens ont dû apprendre à utiliser un tutoriel par le biais duquel, le téléphone enregistre tous les appareils s’étant trouvés à un mètre de lieu au cours des 21 derniers jours. Si le propriétaire du téléphone tombe malade, il doit se signaler pour prévenir les personnes croisées. Ces dernières devront alors se mettre en quarantaine.

En Corée du Sud, qui a affiché le plus bas taux de mortalité parmi les pays infectés par le nouveau coronavirus, les données personnelles de chaque personnes testées (environ 15 000 par jour) ont été mises en ligne sur le site Coronamap et sont consultables par l’ensemble de la population. Ainsi, il est possible de vérifier, en temps réel, où sont les porteurs du Covid-19 et s'ils se déplacent. Les malades contaminés depuis moins de 24 heures sont représentées par un point rouge, celles qui le sont de 24 heures à quatre jours par un jaune et celles qui le sont depuis neuf jours par un vert. Ces données viennent d'images de vidéo-surveillance, de l'analyse de cartes bancaires ou des téléphones des malades. Les personnes refusant de partager leurs informations risquent jusqu’à deux ans de prison.

Le CCNE appelle à la prudence

En France, le Comité consultatif nation d’éthique (CCNE), saisi par le ministre des Solidarités et de la Santé, a récemment rapellé “le danger qu’il y aurait à étendre ces mesures contraignantes au-delà de ce qui serait nécessaire à la lutte contre l’épidémie ou à cause d’une conception inadaptée du principe de précaution.”

L'audition de Cédric O, secrétaire d'État au numérique, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale aura lieu jeudi 9 avril. Cela devrait permettre d’en savoir davantage sur les outils de traçage retenus ou pas par le gouvernement français.