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Perturbateur endocrinien

L'ibuprofène à dose moyenne perturbe la production de testostérone et la fertilité

Par Isabelle Delourdes

L'ibuprofène, vendu sans ordonnance dans de nombreuses préparations, est très facilement consommé en cas de douleurs. Son utilisation pendant 6 semaines chez les hommes jeunes perturbe le fonctionnement de leurs testicules, effondre leur taux de testostérone et risque de mettre à mal leur fertilité.

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La prise régulière et continue d’ibuprofène, fréquente en médication familiale et fréquemment abusive chez les jeunes hommes sportifs de haut niveau, perturbe le fonctionnement normal du testicule et entraine un déséquilibre hormonal et des troubles de la formation des spermatozoïdes, habituellement rencontrés chez l’homme âgé, et appelé « hypogonadisme compensé ». C’est ce qui ressort d’une étude publiée dans une revue scientifique de bon niveau, les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Un médicament antidouleur fréquent

L'ibuprofène est un anti-inflammatoire non stéroïdien, un « AINS », en vente libre. Il n’est presque plus utilisé en tant qu’AINS en France. L’essentiel de sa consommation se fait dans des indications de douleurs, c’est-à-dire entre 200 et 1200 milligrammes par jour. Il est donc largement consommé, chez l'adulte, comme chez l'enfant, dans le traitement de courte durée de la fièvre et des états grippaux, ou de douleurs comme les maux de tête ou les dents, les courbatures et très souvent dans les règles douloureuses. Il est contre-indiqué chez l'enfant en cas de varicelle et chez la femme enceinte au-delà de six mois. 

Des abus dans le milieu du sport

Comme il est facile d'accès et efficace, il est aussi malheureusement beaucoup trop utilisé et en particulier chez les athlètes de haut niveau, en automédication et sous la pression de leur entourage. C'est presque un réflexe dans les mauvaises salles de sport de prévenir les courbatures d'un effort inhabituel ou trop soutenu par des cures d’ibuprofène. Les moins scrupuleux y ajoutant des corticoïdes dont on a vu les ravages dans les pelotons cyclistes, y compris chez les petits amateurs. Et le bénéfice risque ici d’être plus important que le bien.

Une étude inquiétante pour l’homme

Une étude menée au sein de l'Université de Copenhague et coordonnée par l’Inserm alerte sur les effets pervers et non connus jusqu’ici sur le fonctionnement des testicules.
L'étude a été menée sur 31 volontaires masculins sportifs de 18 à 35 ans qui ont été tirs au sort pour prendre, soit de l’ibuprofène, 1200 mg pendant 6 semaines, soit un placebo. L’étude a ensuite analysé des fragments de testicules qui ont été mis en culture.

Une perturbation globale du testicule

Les conclusions de l'essai clinique montrent que, lorsque les hommes ont été exposés à 1200 mg d’ibuprofène par jour pendant 6 semaines, les niveaux d’hormone hypophysaire, une hormone qui joue un rôle clé dans le contrôle de la production de testostérone, se sont fortement élevés dans le sang, ce qui a entraîné des perturbations dans la fabrication de la testostérone.
De plus l’ibuprofène agit aussi sur d'autres hormones fabriquées dans le testicule et qui perturbent entièrement le cycle de fabrication des spermatozoïdes.

Un état « d’hypogonadisme compensé »

Au total, cette étude démontre que la prise prolongée de doses antidouleur, c’est-à-dire de doses moyennes d’ibuprofène (1200 mg/jour pendant 6 semaines, soit 3 comprimés à 400 mg), exerce des effets perturbateurs endocriniens sévères chez les hommes jeunes conduisant à un état « d’hypogonadisme compensé », un état habituellement rencontré chez environ 10% des hommes âgés chez qui la production de testostérone diminue. Cette situation est généralement associée à des risques accrus pour la fertilité, comme pour la santé en général.
Et pour Bernard Jégou, directeur de recherche à l’Inserm et coordinateur de l’étude  « Il y a des hommes qui prennent de façon continu de l’ibuprofène (…). Si cet état d’hypogonadisme compensé s’installe, le risque pour eux est d’accroître les risques déjà liés à ce médicament, mais aussi d’altérer leur condition physique (muscles et os) et d’hypothéquer leur santé reproductive et même psychologique ». 

Une molécule sous surveillance

L’ibuprofène est déjà contre-indiqué au-delà du 6ème mois de grossesse car il est responsable de malformations fœtales. Mais, une étude récente a également montré que l'ibuprofène pris au cours de la grossesse pouvait aussi perturber la formation des testicules du fœtus mâle dès les premiers mois du développement dans l'utérus.

L'ibuprofène n’est donc pas un médicament anodin. Il faut en prendre raisonnablement et si la prise se prolonge, il est préférable de consulter son médecin. Et l'interdire chez la femme enceinte et de sportif de façon absolue.