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Pr Nicholas Moore

Polémique sur les statines : 10 000 morts de plus en 2013

Par Anne-Laure Lebrun

ENTRETIEN - Selon une étude, les effets indésirables des statines ont été exagérés. Des allégations qui ont poussé des milliers de patients à arrêter leur traitement, déplore un spécialiste.

rogerashford/epictura
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Médicament polémique, les statines ont fait couler beaucoup d’encre. Alors que des études montrent que ces molécules chargées de réduire le taux de cholestérol diminuent le risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire de 25 %, des médecins affirment qu’elles sont inutiles, voire dangereuses.
Des propos qui ont suscité un vif débat en 2013, lors de la parution du livre de Philippe Even La Vérité sur le cholestérol, et poussé des milliers de patients à interrompre leur traitement. Entre 9 000 et 10 000 décès supplémentaires pourraient être imputables à ces arrêts de traitement, déplore le Pr Nicholas Moore, chef du département Pharmacologie au CHU de Bordeaux.

Qu’apporte cette récente étude parue dans The Lancet ?
Pr Nicholas Moore :
Après avoir étudié un très grand nombre d’études, les chercheurs concluent que l’effet bénéfique des statines dépend du degré de diminution du LDL cholestérol. Ils calculent en effet qu’en diminuant le taux de LDL cholestérol de 1 mmol/L de sang, on observe une diminution de 25 % de la mortalité liée à une pathologie coronaire, d’une crise cardiaque ou d’un accident cardiovasculaire cérébral (AVC). Et plus les gens sont à risque cardiovasculaires, plus les bénéfices sont grands.

En outre, ils soulignent la diabolisation des statines, en particulier du côté des effets indésirables. Certains effets secondaires sont parfaitement évidents, connus et quantifiés. Les chercheurs les rappellent d’ailleurs très bien. Il s’agit de la myopathie, la survenue d’un diabète de type 2 ainsi que l’augmentation du risque d’AVC hémorragique.

En revanche, les statines n’augmentent pas le risque de développer des cancers et n’a pas non plus d’effet sur la mémoire ou la cognition. Des chercheurs ont tenté d’utiliser des statines pour traiter la maladie d’Alzheimer mais cela a été un échec total. Il n’y aucune amélioration ou aggravation.  

Cela confirme-t-il qu’abaisser le taux de cholestérol réduit le risque de maladies cardiovasculaires ?
Pr Nicholas Moore : Des études épidémiologiques ont montré qu’un taux élevé de LDL cholestérol, notamment chez les personnes souffrant d’hypercholestérolémie familiale, augmente la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. Une mortalité qui diminue lorsque les patients prennent des statines pour diminuer leur cholestérol.

Pour réellement démontrer le rôle du cholestérol, il faudrait augmenter artificiellement le taux de LDL cholestérol chez des participants pour voir s’ils meurent plus que les autres. Cette approche serait dépourvue de toute éthique.

Alors on peut polémiquer sur le rôle du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires, mais le fait est que prendre des statines après un infarctus ou lorsque l’on est à risque cardiovasculaire permet de réduire la mortalité et les risques de récidives d’infarctus.  

Les polémiques autour des statines ont-elles eu un impact chez les patients ?
Pr Nicholas Moore
Effectivement, les travaux que nous avons publiés en juillet montrent que près de 12 % des utilisateurs réguliers de statines (au moins un an d’utilisation, ndlr) ont arrêté leur traitement en 2013, contre 8,5 % en 2011 et 2012. Et on constate également qu’il y a plus de morts en 2013 que les années précédentes, en particulier dans les populations à haut et moyen risque alors que cela n’est pas observé chez les patients à faible risque.  

Ce que je vois est très simple : en 2013, après la publication de ce livre, plus de gens ont arrêté les statines que les années précédentes et plus de gens sont morts dans cette population d’utilisateurs chroniques. Je n’affirme pas qu’il y a un lien direct, cela peut être un hasard. Mais nous montrons quand même que sur 30 000 personnes, 90 morts supplémentaires sont recensées. A l’échelle nationale, cela signifie qu’il y a eu entre 9 000 et 10 000 morts de plus en 2013 qu’en 2011 et 2012.

Ce phénomène également a-t-il été observé chez nos voisins ?
Pr Nicholas Moore : 
En Grande-Bretagne et au Danemark, deux études ont également évalué l’incidence d’arrêt des statines après la publication de plusieurs travaux négatifs sur les médicaments réduisant le cholestérol. Au Danemark, ils trouvent exactement les mêmes résultats que nous, soit une augmentation de la mortalité et des infarctus chez ceux qui ont arrêté les statines. Du côté de la Grande-Bretagne, ils ont observé un hausse des interruptions de traitement mais ils n’ont pas mesuré l’impact sur le taux de mortalité.