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Semaine de sensibilisation à la maladie du foie gras

Maladie du foie gras : “La NASH est aujourd’hui la deuxième cause de cirrhose dans le pays”

Par Alexandra Wargny Drieghe

Que se passe-t-il dans les cellules du foie lorsqu’il accumule trop de graisse ? Quels sont les risques ? Où en est la recherche ? Autant de questions auxquelles répond le Pr Pierre-Emmanuel Rautou, médecin hépatologue responsable de l’équipe « Rôle des vaisseaux dans les maladies du foie » au Centre de recherche sur l’inflammation à Paris, et Professeur d’hépatologie à l’hôpital Beaujon.

Rasi Bhadramani/Istock

Pourquoi docteur : 20 % de la population française a le foie gras aujourd’hui. Est-ce-que vous aussi, dans votre cabinet, vous avez constaté une hausse des cas de stéatohépatite non alcoolique (NASH) depuis quelques années ?

Pr Pierre-Emmanuel Rautou : Oui, et de manière évidente ! On a une augmentation indéniable du nombre de cas dans le monde en lien avec l’épidémie de diabète et d’obésité. Le nombre de malades atteints de NASH (ou MASH maintenant) explose complètement, de tout stade de gravité. En majorité, ce sont des gens âgés de 40 à 50 ans que je reçois, des malades qui ont le foie gras et des lésions de fibrose, autrement dit de la cirrhose dans le foie ; et puis également des malades au stade plus avancé, avec des complications de leur cirrhose, c’est ce qu’on appelle une décompensation. Je vois aussi de plus en plus de personnes avec un cofacteur, c’est-à-dire une autre maladie associée à la NASH. À ce propos, l'étude qu’on vient de publier il y a quelques mois dans le cadre du RHU Quid NASH, qui a inclus 500 malades avec un diabète, a montré que 30 % d’entre eux ont une cirrhose ou pré-cirrhose en restant complètement asymptomatiques. Or, le diabète est extrêmement fréquent, mais le risque de cirrhose est souvent méconnu chez les malades. Il y a aussi une explosion de l’obésité infantile, entraînant des cas de NASH chez les jeunes adultes.

NASH : "il faut 20 ans environ pour arriver au stade de cirrhose"

Que se passe-t-il dans les cellules du foie lorsqu’on parle de stéatohépatite non alcoolique ? Comment passe-t-on du stade de stéatose à celui de fibrose, puis de cirrhose ?

La base c’est le gras qui s’accumule dans les hépatocytes, les cellules du foie. Un élément qui est clair, c’est que chez certains individus qui ont le foie gras, pas tous, il va y avoir une lipotoxicité -toxicité des lipides- un des moteurs de stress local. Cela crée un environnement d’inflammation qui va attirer localement des cellules de l’immunité et qui va également modifier d’autres cellules à l’intérieur du foie : les cellules endothéliales qui bordent les petits vaisseaux à l’intérieur de l’organe, et les cellules étoilées.

Les cellules endothéliales du foie sont des senseurs, elles vont être activées sous l’effet des hépatocytes qui souffrent mais aussi par l’effet des stimuli dérivés de la veine porte. C’est la veine qui traverse tout l’appareil digestif et qui vient se déverser dans le foie. Ces cellules endothéliales sont donc les premières en contact avec ce sang spécial qui est très riche en nutriments dérivés du tube digestif. Il est également potentiellement riche en éléments dérivés du tissu adipeux viscéral donc de la graisse abdominale, et en insuline, car le pancréas se déverse là-dedans et quand on a un diabète ou une insulino-résistance, il y a des taux d’insuline élevés. Enfin, quand il y a des bactéries dans l’intestin qui sont altérées, des petits bouts passent aussi dans cette veine porte et donc les cellules endothéliales du foie les voient arriver également.

Le troisième élément très important dans l’équipe cellulaire du foie, comme on l’a évoqué précédemment, ce sont les cellules étoilées. En situation normale, elles dilatent ou resserrent les vaisseaux à l'intérieur du foie au gré des variations du flux qui arrive dans l’organe (car quand on mange, le flux est plus important, donc il faut moduler la taille des vaisseaux). Lorsqu’elles sont exposées à des stimuli dérivés des hépatocytes ou des cellules endothéliales du foie, elles changent de phénotype et libèrent de la fibrose, qui est la source de la cirrhose.

En résumé, l’activité inflammatoire dans le foie fait le lit de la fibrose, qui elle-même fait le lit de la cirrhose, qui elle-même fait le lit des complications, à savoir le cancer de foie et la décompensation.

En combien de temps passe-t-on d’une stéatose hépatique non alcoolique à une cirrhose ?

Quand on a une agression au foie, que ce soit de l'alcool, un virus d’hépatite B ou C, ou encore la NASH, il faut 20 ans environ pour arriver au stade de cirrhose. Donc si vous commencez à avoir une surcharge pondérale à 25 ans, c’est à 45 ans que la cirrhose arrive.

Diagnostic : "le Fib4 est un bon marqueur pour le médecin traitant"

On l’a dit en début d’interview, 1 Français sur 5 a le foie gras… Mais comme la maladie reste asymptomatique pendant longtemps, un bon nombre ne le sait pas ! Que faudrait-il mettre en place pour améliorer le diagnostic ?

Aujourd’hui, on a plus d’outils qu’il y a un certain nombre d’années qui nous permettent de mieux identifier les malades, mais le problème c’est comment on utilise ces outils ? Parce que comme on est sur une maladie qui touche 20 % de la population, il faudrait mettre en place un effet d'entonnoir avec des outils très simples et pas chers pour le médecin traitant, et puis raffiner au fur et à mesure qu’on arrive avec le spécialiste.

Le Fib4 qui comprend l’âge, les plaquettes et les transaminases, ASAT et ALAT, est un bon marqueur pour le médecin traitant car il permet avec une simple prise de sang de dire qu’il n’y a pas de problème. Et si ce n’est pas le cas, si le résultat est trop élevé, on raffine, on va plus loin. On fait soit le Fibroscan, soit des tests de fibrose brevetés comme le FibroTest ou le Fibromètre qui sont des prises de sang également.
La biopsie est réservée aux cas les plus avancés, ou quand il y a un doute sur un diagnostic, c’est-à-dire quand il y a plusieurs causes et qu’on ne sait pas trop. Mais c’est moins fréquent car c’est une procédure plus invasive avec une hospitalisation d’une journée, et même si les risques sont minimes, ils sont tout de même supérieurs à une simple échographie.

Cirrhose décompensée : la médiane de survie des patients est de 2 ans

Quelle est l’espérance de vie d’une personne atteinte d’une cirrhose ?

En règle générale en médecine, il vaut mieux prendre en charge les maladies tôt que tard… Si on arrive au stade de cirrhose avec des complications, comme le cancer du foie, une hémorragie digestive ou encore de l’ascite dans le ventre, cela peut mettre en jeu le pronostic vital du patient. La médiane de survie d’un malade avec une cirrhose asymptomatique, c’est 10 ans, une cirrhose décompensée, donc avec des symptômes, c’est 2 ans. Donc évidemment il vaut mieux traiter les gens quand ils sont asymptomatiques que quand les ennuis commencent à arriver. Une spécificité du foie c’est sa capacité de réversion donc si la fibrose n’est pas trop avancée, elle peut régresser. Ce n’est pas le cas pour tous les malades, mais plus on stoppe le facteur causale tôt, plus la fibrose peut régresser et plus on peut éviter des ennuis. À noter que la cirrhose, c’est environ 10.000 morts par an en France, et la NASH est aujourd’hui la deuxième cause de cirrhose dans le pays.

Avec votre équipe de recherche, vous vous intéressez beaucoup aux cellules endothéliales du foie, pourquoi ?

Pour l’instant il n’y a pas de médicaments qui agissent spécifiquement sur les cellules endothéliales du foie donc c’est attractif de s’y intéresser car c’est une piste complètement nouvelle.

On se concentre sur ces cellules car elles sentent différents signaux et passent les messages. Si elles sont en bonne santé, elles protègent leur environnement, et si elles sont en moins bonne santé, elles laissent la fibrose apparaître. En fait, elles sont un peu des gardiens de la santé du foie ! Donc le fait de pouvoir les laisser ou les remettre en bonne santé est une manière de protéger le foie en général.

Plus précisément, on s’intéresse à deux aspects : l’aspect biomarqueur, c’est-à-dire trouver un moyen de connaître leur santé par une simple prise de sang, sans avoir à faire une biopsie du foie ; et de l’autre côté, trouver une façon de les remettre en santé, car cela permettrait de remettre le foie dans une bonne direction en terme d’état et de réversion de la fibrose.