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L'interview du week-end

Arachnophobie : "Une des clés pour contrer la peur, c'est la connaissance"

Par Rafaël Andraud

Christine Rollard, surnommée "Madame araignée", est enseignante-chercheuse au Muséum national d'Histoire naturelle. Cette docteure en biologie est la principale spécialiste de l'étude des araignées en France. Dans son bureau, elle réalise des séances de désensibilisation afin d'aider ceux qui viennent la voir pour lutter contre leur arachnophobie. Elle leur apporte des connaissances pour contrer la peur. 

La biologiste Christine Rollard montre une araignée au microscope à une arachnophobe lors d'une séance de désensibilisation - Rafaël Andraud

Pourquoi, en tant que spécialiste de l’étude des araignées, vous encadrez des séances de désensibilisation ?

Une de mes missions, dans le cadre de mon métier d’enseignante-chercheuse au Muséum national d'Histoire naturelle, c’est la diffusion des connaissances. Je considère que ces séances de désensibilisation, dans lesquelles je diffuse mes connaissances, font partie de cette mission. Certains pourraient penser que j’outrepasse mes fonctions, mais je me dis que j’apporte une petite pierre au moulin dans la vie des gens. Et ce n’est pas moi qui en suis à l’origine, ce sont des demandes. De temps en temps, certains psychologues me téléphonent et m’envoient leurs patients, en complément de leurs séances, sachant qu’il y a souvent un problème psychologique derrière que moi je ne traite pas. Mais au moins l’objet phobique est mieux connu et sa perception est complètement différente. Parfois, certaines personnes viennent me voir de leur propre initiative en me disant qu’elles voient déjà un psychologue, ou qu’elles ont fait des séances d’hypnose et que ça n’avait pas fonctionné. Les premières années, je faisais une ou deux séances par an, puis petit à petit, avec le bouche à oreille, c'est monté. J’en fais entre 20 et 40 par an aujourd’hui. Mais attention, je me place vraiment en tant que docteure en biologie. Même si je travaille avec des psychologues et que je me suis documentée pour bien faire les choses, je ne suis pas psychologue.

"Les araignées sont couvertes de soie et donc très douces"

En quoi consiste ces séances de désensibilisation ?

Je reçois ces personnes de façon très progressive, dans une pièce neutre en général. Parfois, j’enlève même mes "bijoux araignées", puisque c’en est une représentation. Puis, je vais simplement leur en parler. Je les fais souvent dessiner pour savoir si elles connaissent réellement la forme de l'animal. On va travailler sur ce qui les gêne dans l’objet phobique. Cela peut être très différent selon les individus : ça peut être les pattes, les yeux, leur déplacement, leur allure globale, ou leur dangerosité… C’est pourquoi je fais des séances individuelles, adaptées à chacun. Puis après, la personne vient dans ma pièce de travail, lieu où elle ne verra jamais autant d’araignées de sa vie. Je lui montre des araignées sous la loupe, je lui fais toucher une mue… ça peut débloquer l’approche de certains phobiques car ils n’auraient jamais imaginé qu’une araignée puisse être aussi douce. Il y a tout un tas d'approches en fonction de la personne. Je donne également quelques exercices à réaliser après les séances, par exemple ne pas regarder tout le temps dans une pièce quand on rentre. Le but ultime de l’acceptation de l’araignée chez soi, c’est de ne pas les mettre dehors et de réussir à se dire qu’on a des colocataires, qui vivent leur vie de leur côté et nous du nôtre.

Pourquoi beaucoup de gens ont peur des araignées ?

On a souvent peur de ce qu’on ne connaît pas. Une des clés pour contrer la peur, c’est la connaissance. Et c’est là que mon rôle est utile : je vais apporter des connaissances et des arguments scientifiques, bien sûr en les formalisant différemment, avec les bons termes, pour aider à revoir différemment ce qui chez l’araignée fait peur aux gens. Par exemple, l’aspect velu des araignées peut effrayer, donc j’explique qu'elles sont couvertes de soie et donc très douces. À chaque fois, on va rentrer dans le rationnel pour expliquer et se réapproprier ce qu’est réellement une araignée. C’est tout un travail : une séance, c’est une discussion qui peut durer 2, 3 ou 4 heures. Mon but n’est pas de faire aimer les araignées à ceux qui viennent me voir, je cherche juste à faire en sorte qu’ils les comprennent.

"J’ai eu 3 cas de morsure avérés d’araignées en 33 ans de carrière"

Quelles différences entre la peur des araignées et l’arachnophobie ?

Il faut bien distinguer les différents niveaux de peur et la phobie. Beaucoup viennent me voir en disant qu’ils sont phobiques. Mais la majorité ne sont pas réellement phobiques, ce sont des peurs plus ou moins marquées, parfois focalisées sur une espèce d'araignée en particulier. Pour les phobiques, c’est vraiment un handicap dans la vie quotidienne. Parfois, je ne peux même pas évoquer le mot "araignée", il faut que je trouve des images pour pouvoir en parler. Certains ne peuvent pas les voir en photo sans faire de crise. Là, c’est vraiment une phobie et il faut les aider. Ce que beaucoup oublient, c’est que la peur fait partie de nous, elle est normale et nécessaire à notre survie, tout comme la surprise. Je ne vais surtout pas supprimer la peur des personnes, on peut continuer d'avoir une petite frayeur quand on tombe sur une araignée par surprise. Lors de mes séances, on va travailler pour essayer de percevoir autrement l’objet phobique et le monde des araignées, en s’oubliant complètement, ce qui n’est pas facile parce qu’on fait beaucoup d’anthropocentrisme vis-à-vis des animaux, alors qu’il faut absolument changer de regard et d’échelle quand on parle des araignées.

Est-ce que la dangerosité des araignées peut justifier la peur qu’elles suscitent ?

Dans le monde entier, pas qu’en France, on a pratiquement pas d’araignée potentiellement dangereuse pour l’humain. Même si certaines peuvent mordre quand elles ont une taille de crochet suffisante, on n’a très peu de chances d’être en contact physique avec elles étant donné leur mode de vie. Elles n’attaquent que dans les films de fiction. La première chose qu’elles font face au danger, ce qui correspond aux vibrations qu’on peut faire en se déplaçant, c’est la fuite. Il faut vraiment des circonstances très particulières pour qu’il y ait une morsure. Il faut vraiment un contact forcé, par exemple, si on met la main dessus ou si on a une araignée dans une chaussure : l’araignée, ne pouvant pas s’échapper, mord pour se défendre. Et comme c’est une réaction de défense, ce sont plutôt des morsures sèches, sans venin, puisqu'elles l’utilisent pour manger avant tout. J’ai eu 3 cas de morsure avérés d’araignées en 33 ans de carrière. Or, parfois, certains médecins ou pharmaciens peuvent supposer à la vue de certains signes que c’est peut-être une morsure d’araignée, même quand ça ne l’est pas. L’araignée n’a pas de cerveau à part entière, c’est un ganglion nerveux relié aux organes sensoriels. Donc une araignée réagit avant tout aux vibrations et elle ne peut pas ressentir d’émotion. Certains phobiques disent que l’araignée viennent vers eux. Or, elles ont une vue fixe à courte distance, ce qui fait qu’elles ne nous voient pas dans notre globalité. Nous sommes comme un support pour elles. On n'est rien dans le monde des araignées. Elles n’ont donc peu de raison de nous mordre en dehors de la défense.