ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Risques génétiques : informer les patients quand on peut agir

Pr Pascal Pujol

Risques génétiques : informer les patients quand on peut agir

Par Jonathan Herchkovitch

ENTRETIEN – Les patients doivent avoir accès aux informations sur leurs risques génétiques, lorsqu’une action est possible, et s’ils en ont émis le souhait.

Amaviael/Epictura

Le séquençage de grandes parties ou de l’ensemble du génome est rentré dans la routine médicale. Une pratique qui pouvait sonner il y a quelques années encore comme de la science-fiction, et que les progrès technologiques ont rendue possible.

Mais elle s’accompagne d’un ensemble de questions notamment éthiques, pour lesquelles la loi et les recommandations officielles n’ont pas encore apporté de réponse satisfaisante.

Lorsqu’un séquençage génomique complet est demandé pour une pathologie, par exemple un retard de développement mental, que faire des informations recueillies simultanément sur d’autres anomalies ? Une mutation sur le gène BRCA1, par exemple, expose les femmes à de forts risques de développer un cancer du sein ou de l’ovaire. Les laboratoires et les médecins doivent-ils communiquer ces informations, appelées données secondaires ? Et si oui, dans quel cadre ?

La Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP) se penche sur ces aspects éthiques, juridiques et pratiques lors de son congrès, qui se tient les 22 et 23 juin à Montpellier. Les experts de la société savante entendent apporter des recommandations pour que les pratiques soient mieux encadrées. Son président, le Pr Pascal Pujol, spécialiste en oncologie génétique au CHU de Montpellier, détaille ces recommandations pour Pourquoidocteur.

Quels sont les problèmes liés à la divulgation des données secondaires ?
Pr Pascal Pujol : En Europe, seulement 61 % des laboratoires rendent les données secondaires aux cliniciens. Donc, dans près de 40 % des cas, elles sont mises sous le tapis. Ensuite, 55 % des médecins qui ont les résultats donnés par le laboratoire les transmettent à leurs patients. Ce qui veut dire que quatre sur dix ne les rendent pas. Le problème, c’est que parmi ces découvertes dites secondaires, vous avez des informations qui sauvent la vie des gens. Et le mot n’est pas faible.
Nous recommandons que les données secondaires sur des gènes actionnables, et avec un risque fort, donnent lieu à un retour d’information chez le patient qui a donné son consentement éclairé. Cela paraît évident, mais ça n’est pas le cas actuellement. Nous recommandons aussi que les découvertes secondaires soient systématiquement transmises du laboratoire vers le clinicien.
Ensuite, il faut respecter l’autonomie de la personne, et sa volonté de savoir ou de ne pas savoir. Et pour cela, encore faut-il qu’elle ait eu une bonne information, et validé un consentement véritablement éclairé. Et c’est là-dessus que les éthiciens, les associations de patients et les juristes ont planché.

Ecoutez...
Pr Pascal Pujol, président de la SFMPP : « Il faut déterminer quand l’information génétique évoque un risque fort et un risque dit « actionnable. C’est-à-dire que l’on peut faire quelque chose... »


Comment objectiver la pertinence de ces informations ?

Pr Pascal Pujol : Une jeune femme de 15 ans est venue en consultation, adressée par un médecin généticien. Elle souffre d’une déficience mentale et a fait l’objet d’une analyse génétique large, indiquée aujourd’hui dans ces cas-là. Nous avons trouvé un défaut sur un gène qui participe à l’intelligence, ce qui explique son déficit mental, mais le défaut génétique emporte un gène qui prédispose au cancer. C’est le gène des polyposes. La probabilité de développer un cancer du côlon, chez les personnes porteuses de ce gène, est de 100 %.
Le gène du cancer de la thyroïde, c’est aussi 100 % ; le gène BRCA1, c’est 80 % de probabilité de développer un cancer du sein. Ça, il faut le savoir. Si vous le savez, vous réduisez la mortalité du cancer du sein et de l’ovaire de 70 %. Seulement par le dépistage et la prévention.
Des recherches génétiques pour un cancer ou pour une maladie mentale aboutissent sur une anomalie sur un gène qui n’a rien à voir avec l’indication initiale. En radiologie, c’est ce que l’on appelle l’incidentalome : en faisant un scanner sur le rein, on trouve quelque chose sur le foie. La problématique n’est pas nouvelle en médecine.
Il faut se demander quand il y a un bénéfice médical. Ce qui a guidé l’expertise médicale de nos recommandations, ce sont ces critères : déterminer quand l’information génétique évoque un risque fort et un risque dit « actionnable ». C’est-à-dire que l’on peut faire quelque chose. Sinon, ça ne sert à rien.
Mais il faut rassurer les gens, nous n’ouvrons pas une boîte de Pandore. Lors des séquençages complets d’ADN, on retrouve ces problèmes actionnables dans 2 à 3 % des cas seulement.

À quels risques juridiques s’exposent les médecins et les laboratoires ?
Pr Pascal Pujol : Une mutation sur le gène BRCA1 provoque des cancers de l’ovaire chez 40 % des porteuses. Elle induit toutefois un risque parfaitement actionnable. Et là, on sauve la vie des femmes. Si vous ne faites rien, cela pose un problème éthique et juridique. Pour l’instant, il n’y a pas eu de jurisprudence. Mais qui nous dit qu’un jour, une personne séquencée complètement qui apprend plus tard par sa sœur qu’elle était porteuse d’une mutation BRCA1 après un cancer de l’ovaire, ne se retournera pas contre son médecin ou son laboratoire ? La dimension éthique et juridique est chevillée au problème, car il peut y avoir non-assistance à personne en danger.

Les médecins doivent aussi être formés à analyser les risques.
Pr Pascal Pujol : Le problème est énorme. C’est la raison pour laquelle, dans les recommandations, le sujet est largement repris. Nous allons concevoir des outils d’information pour que tous les patients aient une information standardisée. Mais après, dans le rendu du résultat, il faudra absolument passer par une consultation spécialisée. De toute manière, on tombe sous le décret concernant les analyses génétiques pré-symptomatiques. Pour les personnes qui n’ont aucun trouble lié aux gènes, mais qui reçoivent une information de type préventif, le législateur a décidé que le résultat devait être donné par un médecin habilité.