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Abus et mésusage

Stilnox: les raisons d'un classement comme stupéfiant

Par Marion Guérin

ENTRETIEN – Le classement du zolpidem sur la liste des produits stupéfiants relance la question de l’intégration de toutes les benzodiazépines sur cette liste.

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Il garnit depuis trente ans la trousse à pharmacie des personnes atteintes d’insomnie. Il fait aussi l’objet d’un large mésusage, notamment par les voyageurs long-courrier, qui avalent un comprimé pour embrasser Morphée pendant leur trajet. Le zolpidem, plus connu sous son nom commercial Stilnox, est un puissant sédatif hypnotique dérivé de la classe des benzodiazépines. Il est indiqué dans le traitement de l’insomnie sévère non chronique.

Depuis mercredi et la parution d’un décret au Journal Officiel, le zolpidem est officiellement un stupéfiant. Le médicament figure désormais sur la liste des produits stupéfiants et devra faire l’objet d’une ordonnance sécurisée. A travers cette mesure, il s’agit de limiter « le risque de pharmacodépendance, d’abus et d’usage détourné », précise l’agence française du médicament.

Cette décision relance la question de l'opportunité de classer comme stupéfiants toutes les benzodiazépines. Un débat récurrent en France, que les agences sanitaires ne parviennent pas à trancher, comme l’explique Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à Bordeaux.

 

Pourquoi avoir intégré à la liste le zolpidem et pas d’autres benzodiazépines ?

Bernard Bégaud : Le zolpidem a une demi-vie très courte : le produit est fait pour être absorbé le plus rapidement possible, il atteint très vite les tissus cérébraux. Ce n’est pas une intraveineuse, mais presque ! Il a un effet flash, ce qui est logique et utile, puisqu’il s’agit d’induire le sommeil. Mais à cause de cette rapidité d’action, le zolpidem a été détourné à des fins criminelles, comme l’Halcion (triazolam), pour des viols, des vols, des violences. Il est en effet plus difficile de parvenir à ses fins criminelles avec un Prozac, qui a une demi-vie beaucoup plus longue.

Le zolpidem possède donc ce profil spécifique, mais il relève aussi de la problématique plus générale des benzodiazépines. Il a été placé sous surveillance renforcée et les autorités sanitaires ont remarqué que le « Dr Shopping » était monnaie courante, comme avec les autres benzo. Cette pratique consiste à aller dans plusieurs pharmacies avec une ordonnance, ou à se faire prescrire plusieurs fois la molécule. Le classement du zolpidem sur la liste de stupéfiants procède donc de cette double explication.
 

Est-il question de classer toutes les benzodiazépines sur la liste des stupéfiants ?

Bernard Bégaud : C’est un vieux débat qui ré-émerge au gré des rapports depuis une trentaine d’années, mais qui n’a toujours pas été tranché parce que les différentes agences sanitaires ne parviennent pas à se mettre d’accord. L’Assurance Maladie considère qu’il ne s’agit pas d’une priorité. En effet, bien que très prescrites, les benzodiazépines ne constituent pas un poste de dépense très élevé - mais c’est sans compter les multiples chutes et fractures associées à leur prise, et le risque de démence qu’elles augmenteraient selon plusieurs études.

La Haute Autorité de Santé, quant à elle, ne croit pas à ces études observationnelles qui mettent en évidence un nombre élevé de chutes, ainsi qu’un surrisque de démence associé à leur usage. Elle a émis de nouvelles recommandations sur la prescription et l’arrêt des benzodiazépines, mais ne semble pas encline à aller plus loin.

Enfin, l’ANSM (agence française du médicament) est d’accord sur le fait qu’il faut agir. Elle a commencé à travailler sur la question, avec des groupes de travail, des réunions interprofessionnelles (psychiatres, généralistes, pharmaciens...) afin de déminer le terrain. Elle a envisagé plusieurs pistes (incitations financières, statut quo, ordonnances sécurisées…), mais elle sait qu’elle ne peut rien faire seule. Donc, aucune décision n’a été prise.


Vous semble-t-il souhaitable de classer toutes les benzodiazépines sur cette liste ?

Bernard Bégaud : Pas vraiment, je crois que cela serait trop raide. Il est certain que les benzodiazépines sont trop prescrites et que leurs effets indésirables posent problème. Depuis qu’elles ont remplacé les barbituriques, elles ont été largement banalisées – le fameux « effet Prozac ». Les placer sous ordonnance sécurisée est une bonne chose, puisque cela permet de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un médicament banal. Les benzodiazépines sont très utiles, à nouveau, mais elles pèsent trop lourd lorsqu’elles ne sont pas indispensables.

De là à toutes les assimiler à des stupéfiants… Je crois que cela risquerait de vider de son sens cette liste de stupéfiants. Ceci dit, le classement du zolpidem permettra d’observer l’effet que cela génèrera. Il est très probable qu’il y aura une forte chute des prescriptions et des consommations, mais aussi un report des prescriptions sur d’autres benzodiazépines à demi-vie un peu plus longue. En tout cas, si la mesure n’a aucun effet et si la consommation ne diminue pas, alors, il faudra peut-être prendre le taureau par les cornes et envisager des mesures plus strictes concernant toutes les benzodiazépines.