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Journée internationale des droits des femmes

Calais : ces réfugiées enceintes qui tentent de rejoindre l'Angleterre

REPORTAGE. Dans le camp de Norrent-Fontes, une centaine de femmes survivent dans la boue et des conditions insalubres. Parmi elles, des femmes enceintes tentent jusqu'au terme de leur grossesse de rejoindre l'Angleterre. 

Calais : ces réfugiées enceintes qui tentent de rejoindre l'Angleterre Olivier Pain - GSF




Dans le camp de Norrent-Fontes, l’hiver s’accroche. En ce mercredi de mars, le thermomètre affiche à peine 4°C et les averses de grêle s’abattent sur le bidonville. Le vent glacial est aussi de la partie. En se frayant un chemin entre les tentes, il balaie tout sur son passage. Tapis dans leur tente, les migrants préparent du café ou du lait chaud dans des casseroles posées à même les braises. Ils sont environ 200 à vivre dans ce camp, à 60 km de Calais. La moitié serait des femmes. Originaires du Soudan, d’Erythrée et d’Ethiopie, ils ont tout quitté, payé des milliers d’euros et bravé tous les dangers pour poursuivre un rêve : s’installer en Angleterre.

Mais aujourd’hui, ces migrants de la Corne d’Afrique survivent dans un bidonville installé sur un monticule terreux réduit en gadoue. Au milieu des champs et à quelques kilomètres de l’A26, aussi appelée l’Autoroute des Anglais, ils tentent chaque nuit de monter clandestinement dans des camions. « C’est très difficile surtout pour ma femme », admet Ifrem, Erythréen de 32 ans. Son épouse, Lamlam, est enceinte de 8 mois et demi.

Ils sont arrivés à Calais il y a 5 mois avec l’espoir de donner un avenir meilleur à leur enfant. « Dans la jungle, il y avait trop de monde. Les bagarres et les violences étaient quotidiennes. Ici, c’est plus calme, c’est mieux pour nous », explique Ifrem en se frottant les mains pour tenter de les réchauffer.

 

Des conditions de vie insalubres

Dans les allées boueuses du camp, les déchets et la nourriture se mêlent. Devant la dizaine de tentes, un nombre innombrable de paires de chaussures jonchent le sol. Tant pis si elles prennent l’eau. Les migrants tentent comme ils peuvent de maintenir leur « maison » propre.

Réfugiés dans leur tente vert pomme, Ifrem et Lamlam attendent que la météo s’améliore. Dans leur abri, le vent s’engouffre et glace les os. Emmitouflée dans des couvertures polaires et des gilets, la jeune femme aux traits fins prépare du thé érythréen. Ce jour-là, ils guettent surtout l’arrivée d’Edith Chevalier et Jean-Pierre Dugrain qui sont venus les chercher pour quitter définitivement le camp. Ces bénévoles de l’association ECNou se sont proposés pour être famille d’accueil. « Ils viennent chez nous pour préparer l’accouchement et les premières semaines du bébé », explique le couple de retraités.

Ifrem et Lamlam y sont allés plusieurs fois pour passer des week-ends loin du bidonville. « Quand nous y sommes, nous oublions la jungle, la boue et le froid », sourient les futurs parents. A leur arrivée, les embrassades sont chaleureuses. « Baba, Mama comment ça va? », demande Lamlam en leur tendant les bras.

Les averses de grêle et de pluie ont transformé les sentiers terreux en champs de boue. Crédit photo : Lebrun/Pourquoidocteur/TDR

Prendre soin des femmes

Cette « mise à l’abri » a été préparée par les associations ECNou et Terre d’Errance ainsi que l’ONG Gynécologie sans frontières (GSF). Cette dernière suit la grossesse de Lamlam depuis son arrivée en France. Elle prend également les rendez-vous à l’hôpital pour préparer l’accouchement. Une situation loin d’être inédite dans les campements du Calaisis. « A Norrent-Fontes, nous avons 2 grossesses, celle de Lamlam et une gémellaire qui en est au 5ème mois. Au total sur tous les camps, nous avons une quarantaine de dossiers. Mais le chiffre exact est inconnu car certaines disparaissent alors que d’autres ne sont pas du tout suivies », explique Sylvie Deleval, la sage-femme bénévole. L’ONG assure également le transfert vers les hôpitaux le jour J. Pour l’heure, aucune femme n’aurait accouché dans un camp.

Une après-midi par semaine, GSF organise des consultations dans une petite caravane installée près du dortoir des femmes où une vingtaine d’entre elles se sont réunies. Mais cette fois, la sage-femme et la gynécologue Laurence Pecqueux font surtout office d' infirmière et de médecin généraliste. « Nous avons vu 14 personnes, dont des hommes. Tous sont là pour des rhumes, des sinusites ou de la toux», explique la médecin bénévole. La jeune réfugiée enceinte de jumeaux a préféré rester au chaud dans la cabane. D’autres ne savent même pas qu’elles peuvent bénéficier d’un suivi gynécologique car elles ne parlent ni français ni anglais.

Pour se faire connaître, l’ONG compte sur leur interprète jordanienne Hana Alnawashdeh. Avec sa chasuble GSF sur le dos, elle part à leur rencontre pour savoir si elles n’ont besoin de rien. Elle les questionne aussi sur leurs relations avec les hommes dans le camp. « A Norrent-Fontes, les femmes sont très difficiles à approcher. Lorsqu’on leur demande si elles ont besoin de contraception, elles disent que les hommes sont gentils avec elles et qu’elles n’en ont pas besoin. Pourtant, on sent bien qu’elles sont en danger », confie la traductrice. Pour certaine, ce mutisme est lié à de la pudeur alors que d’autres sont contraintes par la peur. Hana soupçonne notamment l’une des réfugiées d’imposer le silence sur les éventuelles agressions dont les autres pourraient être victimes.

Viols, prostitution, harcèlement sexuel sont des violences communes à tous les camps. L’alcool, fléau là aussi universel, est l’un des déclencheurs. Nombreuses sont celles qui n’osent pas se plaindre et consulter les gynécologues. « Elles ont peur d’être fichées et de ne pas pouvoir être libres de passer la frontière », explique Sylvie Deleval.


Dans leur petite caravane sans chauffage, GSF accueille et soigne les réfugiés. Crédit photo : Lebrun/Pourquoidocteur/TDR
 

Calais et Grande-Synthe : une prostitution organisée

Elles seraient plus de 400 à Calais, une centaine à Grande-Synthe ainsi qu’à Norrent-Fontes. Difficile de savoir exactement. Une chose est sûre : elles sont les premières cibles de la violence des camps.

A Calais et à Grande-Synthe, les associations rapportent l’existence de réseaux de prostitution organisés par les passeurs. Dans la Jungle de Calais, une maison close aurait vu le jour, peut être plusieurs. Pour les femmes isolées en particulier, vendre leur corps est un moyen de survivre. C’est aussi une monnaie d’échange pour passer la Manche.

A Norrent-Fontes, personne ne sait si cela existe. Mais malgré l’absence de passeurs dans ce camp, il est impossible de dire que la prostitution et les agressions sexuelles n’existent pas.

Du côté de la justice, aucune enquête n’est en cours. La police n’a pas non plus effectué d’interpellations. Encore faudrait-il que les femmes portent plainte.

 

Une détermination sans faille

C’est aussi pour cette raison qu’un grand nombre de ces femmes isolées préfèrent rester dans des abris sommaires au lieu de s’installer dans les centres d’accueil prévus pour les héberger. Parmi elles, il y a Marie, une Soudanaise d’une vingtaine d’année enceinte de 5 mois. Elle a quitté Calais pour venir dans le minuscule camp de Chocques.

La jeune femme partage sa cabane faite de bois, duvet et bâche en plastique bleue avec 2 autres jeunes filles. Aucune ne parle anglais mais elles se débrouillent en arabe. Selon Hana, Marie n’a jamais été à l’hôpital ni vu de médecin pour le suivi de sa grossesse. L’équipe de GSF lui propose donc de passer un examen. Grâce à un échographe portable, le Dr Laurence Pecqueux s’assure que tout va bien. Lorsque la gynécologue lui montre la main et la tête de son bébé, le visage de Marie s’illumine. La spécialiste lui apprend même qu’elle attend une petite fille. Le bonheur se lit dans les yeux de la future maman. L’angoisse aussi. Marie est seule. Son mari a réussi à passer en Angleterre il y a un mois. Depuis, elle tente en vain de le rejoindre.

La vie dans ce camp d’une vingtaine de personnes est très difficile. Ils n’ont pas de sanitaire et aucune douche n’a été installée. Edith et Jean-Pierre proposent alors à Marie de venir chez eux le week-end prochain pour se reposer et prendre un peu de temps pour elle. La jeune femme accepte à condition que ses amies puissent l’accompagner et qu’elles ne restent qu’une seule journée. Car, rester une nuit au chaud dans un vrai lit a un prix : rater une occasion de traverser la Manche.

 

Ecoutez...
Sylvie Deleval, sage-femme bénévole chez Gynécologie Sans Frontières : « Les gens qui sont ici veulent à tout prix aller en Angleterre. Mais certains nous disent qu'ils sont fatigués et qu'ils vont demander l'asile en France. Une décision prise en dernier recours. »

 

Un dilemme auquel sont confrontés Ifrem et Lamlam. Ils ont décidé de rester dans le camp de Norrent-Fontes encore quelques jours malgré l’arrivée imminente de leur bébé. « On doit encore essayer cette semaine », insiste le futur père. Si le couple échoue, ils iront s’installer chez « mama » et « baba » pour attendre l’accouchement et les premières semaines du bébé. « Nous sommes déçus bien sûr mais nous les comprenons. C’est leur choix, leur vie. Nous serons là quand ils auront besoin de nous », expliquent Edith et Jean-Pierre. Mais cette étape dans leur famille de cœur ne durera pas longtemps. Puisque si l’Angleterre leur résiste, Ifrem et Lamlam ont déjà décidé de voir grandir leur enfant en Suisse ou aux Pays-Bas.

Pourquoi l’Angleterre ?

Afghans, Irakiens, Syriens, Ethiopiens, Soudanais… Les milliers de migrants qui affluent en Europe veulent traverser la Manche. Une détermination qui semble irrationnelle tant les chances de passer sont minces.

Reste que l’espoir persiste car certains y arrivent. A Norrent-Fontes, ils sont 5, 20 parfois 50 à réussir chaque semaine. « Certains essayent d’y aller car ils ont de la famille là-bas et ils savent qu’ils auront un abri. D’autres parlent anglais et pensent qu’ils trouveront du travail facilement », explique Marie-Claire, infirmière à la retraite et membre de Terre d’Errance qui se rend presque tous les jours sur le camp. « Les réfugiés voient le Royaume-Uni comme un eldorado. Leur désir d’Angleterre est fondé sur des récits et des mythes qu’ils ont entendu en Afrique », ajoute Jean-Pierre Dugrain. Cette destination a un sens pour eux. Bien plus que rester en France et demander l’asile.

Mais jamais ils n’auraient imaginé de telles conditions de vie. « Dans mon pays, j’avais un travail, une maison et une voiture. Si j’avais su que je vivrais dans une tente et que je pataugerais dans la boue, jamais je n’aurai quitté ma famille », regrette Ifrem. Le jeune Erythréen comprend surtout que l’Europe, et notamment la France, ne veut pas « créer d’appel d’air », au risque de voir arriver des milliers de migrants supplémentaires.

Pourtant, pour cet homme à la voix douce, impossible de faire demi-tour. La fierté est trop forte. Un jour, ses parents l’ont appelé après avoir vu des images de Calais. Apeurés, ils ont supplié leur fils de rentrer. Alors pour les protéger et ne pas les décevoir, Ifrem leur a assuré que lui et sa femme ne vivaient pas dans ce bidonville. « Maintenant que je suis là, je n’ai pas le choix, je dois passer en Angleterre », explique-t-il en regardant Lamlam. Son épouse a elle aussi ce rêve chevillé au corps. A quelques jours de son accouchement, elle insiste auprès de son mari pour tenter une dernière fois.

 

Ces réfugiées enceintes qui tentent de rejoindre l'Angleterre : Notre reportage dans les camps de Norrent-Fontes et...

Posté par Pourquoi docteur sur mercredi 9 mars 2016
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